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LES VOYAGES DE GULLIVER

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lecteur curieux, il suffira peut-être de donner la description de<br />

Lorbrulgrud. Cette ville est située sur une rivière qui la traverse<br />

et la divise en deux parties presque égales. Elle contient plus de<br />

quatre-vingt mille maisons, et environ six cent mille habitants ;<br />

elle a en longueur trois glonglungs (qui font environ cinquantequatre<br />

milles d’Angleterre), et deux et demi en largeur, selon la<br />

mesure que j’en pris sur la carte royale, dressée par les ordres<br />

du roi, qui fut étendue sur la terre exprès pour moi, et était<br />

longue de cent pieds.<br />

Le palais du roi est un bâtiment assez peu régulier ; c’est<br />

plutôt un amas d’édifices qui a environ sept milles de circuit ;<br />

les chambres principales sont hautes de deux cent quarante<br />

pieds, et larges à proportion.<br />

On donna un carrosse à Glumdalclitch et à moi pour voir la<br />

ville, ses places et ses hôtels. Je supputai que notre carrosse<br />

était environ en carré comme la salle de Westminster, mais pas<br />

tout à fait si haut. Un jour, nous fîmes arrêter le carrosse à<br />

plusieurs boutiques, où les mendiants, profitant de l’occasion,<br />

se rendirent en foule aux portières, et me fournirent les<br />

spectacles les plus affreux qu’un œil anglais ait jamais vus.<br />

Comme ils étaient difformes, estropiés, sales, malpropres,<br />

couverts de plaies, de tumeurs et de vermine, et que tout cela<br />

me paraissait d’une grosseur énorme, je prie le lecteur de juger<br />

de l’impression que ces objets firent sur moi, et de m’en<br />

épargner la description.<br />

Les filles de la reine priaient souvent Glumdalclitch de<br />

venir dans leurs appartements et de m’y porter avec elle, pour<br />

avoir le plaisir de me voir de près. Elles me traitaient sans<br />

cérémonie, comme une créature sans conséquence, de sorte que<br />

j’assistai souvent à leur toilette, et c’était bien malgré moi, je<br />

l’affirme, que je les regardais quand elles découvraient leurs<br />

bras ou leur cou. Je dis malgré moi, car en vérité ce n’était pas<br />

un beau spectacle : leur peau me semblait dure et de différentes<br />

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