10.06.2014 Views

Nos - Revue des sciences sociales

Nos - Revue des sciences sociales

Nos - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Sandra Geelhoed Aidara<br />

Entre Ponant et Levant<br />

Le voyage est comme une nuit de<br />

sommeil, le temps entre-deux. Un trait<br />

d’union essentiel pour maintenir la continuité<br />

sans rupture, pour garder une consistance<br />

de soi, dans le dédoublement de<br />

la vie. Je ne suis ni d’ici ni de là-bas,<br />

mais je suis là où je suis. C’est le train<br />

qui m’interpelle, me rappelle l’essentiel :<br />

chercher l’enracinement en soi et dans<br />

le sol de son choix. Le train est une nuit<br />

inscrite dans l’espace qu’il traverse.<br />

Moi<br />

Devant la fenêtre, partie dans le train<br />

de mes pensées, je rêve mes souvenirs<br />

lointains. Mémoire enfouie de la lune<br />

ronde qui éclairait la chambre de l’enfant<br />

que j’étais ; d’une matinée ensoleillée<br />

dans l’herbe, de la moisson en été et<br />

<strong>des</strong> arbres en fleurs au bord de la route.<br />

Mémoire enfouie du coucher de soleil à<br />

la mer et <strong>des</strong> paysans retraités devenus<br />

maraîchers qui travaillent en soirée leur<br />

potager près du chemin de fer. Le paysage<br />

se transforme au fil <strong>des</strong> heures, comme<br />

mes souvenirs. Ils passent avec lui à la<br />

cadence régulière du train qui avance. Le<br />

train qui, parti la nuit, deviendra sous peu<br />

un train de jour. Et moi, je vis le présent<br />

entre passé et futur.<br />

Quatre heures dans le train. Se déplacer<br />

sans bouger. Attendre l’arrivée. Quatre<br />

heures entre Paris et Strasbourg pour<br />

séparer les lieux et construire un lien<br />

entre ici et là-bas, pour prendre pied dans<br />

le monde <strong>des</strong> voyageurs, le monde de<br />

l’errance, pour un jour ou pour toujours.<br />

Avec chaque voyage mon regard s’entraîne.<br />

Il apprivoise le mouvement. Voir<br />

au de-là du flou <strong>des</strong> rêves. Voir les autres.<br />

Ainsi le train devient terrain. Le retour à<br />

soi devient un pont vers les autres. Je suis<br />

avec eux tout en les observant.<br />

Entre observation et participation,<br />

entre interprétation et explication, entre<br />

subjectivité et objectivité : laisser faire<br />

l’interaction au gré <strong>des</strong> humeurs dans le<br />

respect de l’expérience vécue. Se mettre<br />

à la place de l’autre et effectuer un retour<br />

sur soi pour imaginer, pour interpréter,<br />

pour comprendre. Deviner et devenir ce<br />

qu’est la sociologie. Un terrain en mouvement<br />

permanent ?<br />

Et ainsi, le paysage défile à la fenêtre<br />

de mes pensées.<br />

Les autres<br />

J’ai envie de partager l’instant d’une<br />

rencontre avec ces inconnus à la fois si<br />

proches et si lointains, mes compagnons<br />

de voyage. Je sens l’odeur de leurs corps<br />

qui se mélange avec celle du café et <strong>des</strong><br />

croissants, de la douceur <strong>des</strong> bonbons et<br />

du chewing-gum, de la fumée de cigarettes<br />

qui leur colle à la peau et aux vêtements.<br />

Ce qui nous unit, c’est la traversée<br />

<strong>des</strong> paysages, réels et imaginaires.<br />

Entre Paris et Bruxelles, j’ai vu <strong>des</strong><br />

hommes pressés, la cravate nouée au col<br />

de leur chemise assortie à leur costume<br />

Patrick Bailly-Maître-Grand, Train de nuit, train de lumière, planche contact noir et blanc réalisée en collaboration avec le GRAPH, 1985,<br />

coll. FRAC Alsace, Sélestat<br />

111

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!