Nos - Revue des sciences sociales
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de vue, et qui demeurent largement soumises<br />
à l’arbitraire <strong>des</strong> conventions de leur milieu.<br />
Là encore, il est possible de saisir toute la<br />
complexité <strong>des</strong> déchirements que produit<br />
l’interculturalité. Le silence et l’ignorance<br />
dans lesquels ces jeunes filles grandissent est<br />
problématique et se révèle un écart d’autant<br />
plus flagrant que le reste de la population est<br />
de plus en plus éduquée et accompagnée sur<br />
ce point. On mesure combien l’école devrait<br />
enfin pallier l’insuffisance <strong>des</strong> familles en<br />
matière d’éducation sexuelle, sujet qui ne<br />
semble toujours pas être d’actualité dans<br />
les ministères. Si les milieux catholiques<br />
baignent dans le même obscurantisme historique<br />
sur ce point, la grande différence<br />
est que les directives de l’Église ne sont<br />
plus guère suivies d’effets, y compris chez<br />
les croyants eux-mêmes. La situation <strong>des</strong><br />
musulmans accroît en revanche l’écart avec<br />
le reste de la population.<br />
Parce qu’il se place dans une perspective<br />
compréhensive et non dogmatique, cet<br />
ouvrage apporte <strong>des</strong> éléments précieux à la<br />
réflexion. Certes, il sera permis de penser que<br />
certaines histoires de vie sont plus proches du<br />
compte-rendu journalistique que de l’analyse<br />
scientifique, et l’on demeure parfois sur sa<br />
faim alors que les anecdotes s’enchaînent<br />
sans approfondissement. Ainsi passe-t-on<br />
d’une personne à l’autre sans avoir vraiment<br />
le temps d’en cerner une précisément, mais<br />
il se dégage de l’ensemble un panorama<br />
convainquant <strong>des</strong> variations possibles sur le<br />
thème. Pour cela, le pari de l’auteur d’éclairer<br />
la grande diversité de ce que « vivent vraiment<br />
les gens », comme l’indique de manière<br />
un peu racoleuse la quatrième de couverture,<br />
est assez bien réussi. Il ressort une absence<br />
de « normalité sexuelle » qui est sans doute le<br />
point le plus fondamental à retenir.<br />
La grande qualité de l’ouvrage est d’être<br />
d’une approche facile pour tout lecteur et en<br />
même temps de poser <strong>des</strong> questions importantes<br />
sur le thème et plus largement à la<br />
discipline en son ensemble. L’auteur fait<br />
preuve de beaucoup d’humour et l’on rit<br />
souvent, sans méchanceté, sur les commentaires<br />
accompagnant tel ou tel témoignage.<br />
Cette écriture alerte, alliée à la rigueur qui<br />
caractérise le travail de son auteur, rend<br />
l’ouvrage particulièrement agréable.<br />
Serge Chaumier<br />
Université de Bourgogne<br />
Références<br />
Rejean Tremblay, Couple, sexualité et société,<br />
Payot, 1993.<br />
Michel Dorais, La Sexualité plurielle, Prétexte,<br />
Montréal, 1982.<br />
Alfred Spira, Nathalie Bajos, sous la dir,<br />
ACSF, Les Comportements sexuels en<br />
France, La Documentation française,<br />
1993.<br />
Janine Mossuz-Lavau, Les Lois de l’amour.<br />
Les Politiques de la sexualité en France<br />
(1950-1990), Payot, Paris, 1991.<br />
Georges Devereux, De l’angoisse à la méthode,<br />
Flammarion, 1980.<br />
Jean-Claude Guillebaud, La Tyrannie du plaisir,<br />
Seuil, 1998.<br />
Michel Bozon, Henri Leridon (dir.), Sexualité<br />
et <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, INED, PUF, 1993.<br />
MAX PAGÈS et al.<br />
La violence politique :<br />
pour une clinique de la complexité<br />
Toulouse, Eres, coll. “Sociologie Clinique”,<br />
2003, 232 p.<br />
Il est de bon ton aujourd’hui de dénoncer<br />
« le silence <strong>des</strong> intellectuels » qui déserteraient<br />
les débats de société. La violence<br />
politique est un ouvrage collectif qui apporte<br />
un démenti à ce lieu commun. Ses auteurs<br />
prennent à bras le corps le conflit le plus épineux<br />
<strong>des</strong> temps modernes, le conflit israélopalestinien.<br />
Qui sont-ils pour avoir cette<br />
audace ? Des intellectuels. J’entends par là<br />
<strong>des</strong> individus qui ont la conviction que leur<br />
pratique scientifique leur permet et leur fait<br />
obligation d’éclairer les citoyens et de mettre<br />
en débat les éléments de compréhension<br />
dont ils disposent sur les grands problèmes<br />
mondiaux. Ils le font en leur nom personnel,<br />
sans passer par les canaux traditionnels <strong>des</strong><br />
partis politiques, <strong>des</strong> « courants de pensée »,<br />
etc.<br />
Il y a de gran<strong>des</strong> différences entre les<br />
auteurs mais ils partagent quelques convictions<br />
communes. Universitaires ou consultants,<br />
ils sont pour la plupart psychologues<br />
cliniciens de formation psychanalytique. Ils<br />
ont l’expérience de la résolution <strong>des</strong> conflits<br />
en entreprise, dans les familles, etc. Mais<br />
ils croient que la psychosociologie ne doit<br />
pas se limiter à l’échelle « micro ». Ils n’ont<br />
pas la naïveté de croire que les solutions<br />
adaptées aux petits groupes pourraient être<br />
transposées aux conflits internationaux. Mais<br />
la clinique a un regard pertinent à apporter<br />
à l’échelle macro-sociale, à condition de<br />
s’ouvrir à la complexité. L’ouvrage a un<br />
premier objectif, proprement scientifique et<br />
bien résumé dans le sous-titre : contribuer<br />
à la fondation d’une « clinique de la complexité<br />
», inspirée entre autres par la théorie<br />
de la complexité d’Edgar Morin.<br />
L’approche clinique se caractérise par<br />
l’enracinement <strong>des</strong> connaissances sur les<br />
individus et leurs sociétés dans une longue<br />
fréquentation <strong>des</strong> êtres humains. Contrairement<br />
au paradigme de la rupture épistémologique,<br />
c’est en essayant de produire<br />
du changement social que l’on progresse<br />
dans la connaissance de ce qui fait société.<br />
Les auteurs se réclament explicitement de<br />
la « recherche-action » de Kurt Lewin, dans<br />
laquelle le trait d’union est essentiel.<br />
Dans cette perspective, deux textes sont<br />
remarquables d’engagement et de lucidité :<br />
celui de Dan Bar-On, universitaire israélien<br />
178 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2004, n° 32, “La nuit”