10.06.2014 Views

Nos - Revue des sciences sociales

Nos - Revue des sciences sociales

Nos - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Stéphane Jonas<br />

Jean-Baptiste Boussingault et l’Alsace<br />

chimistes L. J. Gay-Lussac (1778-1850)<br />

et le baron L. J. Thenard (1777-1857),<br />

membres influents de l'Académie <strong>des</strong><br />

Sciences. C'est sans doute Thenard qui<br />

l'oriente vers l'École <strong>des</strong> Mines de Saint-<br />

Étienne, un établissement très réputé, où<br />

il obtient le diplôme de préparateur après<br />

deux ans d'étu<strong>des</strong>, en 1820. Il a alors<br />

18 ans. Pour son Mémoire de recherche<br />

en chimie, il choisit la combinaison du<br />

silicium avec le platine et la présence de<br />

silicium dans le fer et l'acier. Le mémoire<br />

est si remarquable qu'il sera publié par<br />

Gay-Lussac dans les Annales de chimie et<br />

de physique, la revue scientifique la plus<br />

célèbre de France à l'époque. Comme il<br />

est un <strong>des</strong> meilleurs élèves de sa promotion,<br />

le directeur lui propose différentes<br />

offres parvenues à Saint-Étienne.<br />

Il choisit la proposition de la Maison<br />

Perrier pour diriger les Mines houillères<br />

de Lobsann où il s'agit de fabriquer, avec<br />

la lignite chargée de pyrite, de l'alun et du<br />

sulfate de fer.<br />

Les années<br />

<strong>des</strong> Mines de Lobsann<br />

1820-1822<br />

■<br />

Sur ce choix il écrira à son père, dans<br />

sa lettre datée du 3 juillet 1820 : « J'aimerais<br />

beaucoup aller dans ce pays. Lobsann<br />

est sur la frontière. Je ne serais pas loin de<br />

Francfort, et je pourrais faire un voyage à<br />

Wetzlar. » Attaché à sa mère, il est aussi<br />

motivé pour mieux connaître l'Alsace.<br />

Il cherche les contacts avec la famille<br />

maternelle et il commence à apprendre<br />

l'allemand. Muni de recommandations<br />

venant de Saint-Étienne et de Paris et<br />

profitant <strong>des</strong> relations de ses contacts<br />

strasbourgeois, il sera vite lancé dans<br />

le puissant milieu du pouvoir industriel,<br />

universitaire et de la technostructure <strong>des</strong><br />

ingénieurs divisionnaires de l'État dans<br />

la capitale alsacienne. Parmi ses contacts,<br />

mentionnons la famille d'accueil<br />

de M. Dournay, propriétaire principal<br />

<strong>des</strong> Mines de Lobsann; l'abbé Branthome,<br />

professeur de chimie et Doyen de<br />

la Faculté <strong>des</strong> Sciences de l'Université<br />

de Strasbourg (qui lui ouvrira son laboratoire)<br />

et son préparateur, le chimiste<br />

Engelhardt ; M. Hecht, chimiste et premier<br />

pharmacien de Strasbourg; Albert de<br />

Dietrich, le futur propriétaire <strong>des</strong> Forges<br />

de Niederbronn ; M. Joly, ingénieur <strong>des</strong><br />

Mines et M. Voltz, ingénieur en chef <strong>des</strong><br />

Mines à Strasbourg, qui deviendra plus<br />

tard inspecteur général <strong>des</strong> Mines.<br />

À ces relations et soutiens strasbourgeois<br />

précieux s'ajouteront ceux <strong>des</strong> Mines<br />

de Pechelbronn voisines de Lobsann, en<br />

les personnes du propriétaire-industriel<br />

Achille Le Bel père (1772-1842) et<br />

M. Mabru, le directeur, neveu et beaufrère<br />

par alliance <strong>des</strong> Le Bel, géologue<br />

lui aussi. Achille Le Bel l'accueille par<br />

la suite comme un « père » – l'expression<br />

est de Boussingault – et lui ouvre sa riche<br />

bibliothèque et ses expériences industrielles.<br />

Pendant son séjour à Lobsann, il<br />

fait plusieurs voyages d'étu<strong>des</strong> en France<br />

et en Allemagne, approfondit ses étu<strong>des</strong><br />

de géologie, et là naissent déjà en lui<br />

<strong>des</strong> passions pour la forêt, la montagne<br />

et la vie <strong>des</strong> champs. Il apprend vite le<br />

métier de directeur et, de cette mine sans<br />

importance jusque-là, il fait une entreprise<br />

florissante. Sa semi-origine allemande<br />

prend une signification sociologique nouvelle<br />

à travers les gens et les collaborateurs<br />

qu'il apprécie ou estime : la femme<br />

de Dournay est de Mayence, son chef<br />

comptable est un ancien commissaire de<br />

police de Kassel et son contremaître est<br />

Saxon. C'est sans doute à cette époque-là<br />

que naît son admiration pour le baron<br />

Alexander von Humboldt (1769-1859),<br />

naturaliste, géologue, volcanologue allemand<br />

célèbre, qui a notamment exploré<br />

l'Amérique Latine.<br />

Jeune industriel chimiste, il reste en<br />

contact étroit avec les deux réseaux précieux<br />

que constituent les ingénieurs <strong>des</strong><br />

mines et les chimistes de l'Académie<br />

et du CNAM. En 1821 il a failli aller<br />

en Égypte, quand son ancien professeur<br />

Thibaud a voulu l'emmener avec lui<br />

pour un contrat de deux ans proposé à<br />

la France par le Vice-roi d'Egypte pour<br />

«deux hommes instruits dans l'art <strong>des</strong><br />

mines et la fusion <strong>des</strong> métaux 5 ». Suivant<br />

les conseils de ses amis alsaciens et de<br />

ses parents, il y renonce. Mais il est trop<br />

jeune pour renoncer à voir du pays. Il<br />

n'hésite plus quand, par l'intermédiaire<br />

de l'ingénieur Voltz et de Berthier, mais<br />

aussi, d'après certains de ses biographes,<br />

sur les conseils de Humboldt, le général<br />

Simon Bolivar l'invite au Venezuela, pour<br />

y fonder une école d'ingénieurs et explorer<br />

les richesses du pays. Il y reste dix ans<br />

(1822-1832).<br />

Comment caractériser en quelques<br />

mots les deux premières années passées<br />

en Alsace ? Nous dirions volontiers : relations,<br />

amis, réseaux, carnet d'adresses,<br />

estime <strong>des</strong> ouvriers alsaciens et coup de<br />

foudre pour l'Alsace.<br />

Retour en France :<br />

professeur à Lyon<br />

(1832-1834)<br />

■<br />

Boussingault revient d'Amérique Latine<br />

en 1832 comme un jeune savant plein<br />

d'avenir, auréolé par sa participation à la<br />

révolution du continent dirigée par Simon<br />

Bolivar contre la colonisation espagnole.<br />

Bolivar le nomme lieutenant-colonel actif<br />

à côté de ses titres scientifiques de géologue,<br />

minéralogiste, botaniste et chimiste.<br />

Plusieurs de ses travaux américains ont<br />

été régulièrement publiés dans les Annales<br />

de chimie et de physique. D'abord il<br />

est tenté par l'enseignement supérieur.<br />

Il est nommé à la Faculté <strong>des</strong> Sciences<br />

de l'Université de Lyon comme professeur,<br />

puis comme doyen (1832-34). Mais<br />

rapidement sa <strong>des</strong>tinée de chercheurinventeur<br />

prend le <strong>des</strong>sus et il s'intègre<br />

habilement dans le réseau montant <strong>des</strong><br />

chimistes-agronomes 6 . Pour cette carrière<br />

et en l'absence en France – contrairement<br />

à l'Allemagne – de stations agricoles<br />

institutionnelles, il veut continuer ses<br />

recherches en créant à la fois une ferme<br />

et un laboratoire communs. Ainsi son<br />

retour à Pechelbronn est en quelque sorte<br />

programmé pour atteindre cet objectif 7 .<br />

En effet, son sentiment d'attachement à<br />

l'Outre-Forêt et son désir de fonder une<br />

famille vont l'aider à réaliser ce tournant<br />

décisif dans sa trajectoire scientifique.<br />

Mais dans la vie et l'oeuvre <strong>des</strong> grands<br />

savants, la volonté personnelle et la persévérance<br />

n'ont jamais été suffisantes<br />

pour réussir. Il faut aussi <strong>des</strong> conjonctures<br />

scientifiques, économiques et politiques<br />

favorables. Boussingault avait déjà<br />

assez de maturité et d'intelligence pour<br />

découvrir que ces conditions étaient là<br />

et il allait les saisir. En effet, à partir <strong>des</strong><br />

années 1830 en France, qui est alors le<br />

deuxième pays le plus industrialisé du<br />

monde après la Grande-Bretagne, nous<br />

assistons à un essor vigoureux <strong>des</strong> <strong>sciences</strong><br />

agronomiques. De plus, ce sont <strong>des</strong><br />

chimistes de formation qui s'emparent<br />

petit à petit du domaine de la recherche<br />

157

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!