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NATURE
Reportage
sique, qui a connu une extinction de
masse il y a environ 200 millions d’années.
Sur Terre, 80 à 90 % des plantes
ont disparu, ainsi que de nombreux
groupes de reptiles, tandis que les mers
voyaient de nombreuses espèces d’ammonites
s’éteindre. « Cette transition
trias-jurassique, qui a duré quelques
dizaines de milliers d’années, est visible
ici à 300 mètres de hauteur et correspond
à une couche de 30 mètres d’épaisseur,
explique Pierre Sans-Jofre sur le terrain.
L’échantillonnage se fait couche
par couche, en vue de trouver celles
qui correspondent à la période précise
de -198 à -203 millions d’années. »
À cette époque, les terres du Groenland
se trouvaient à la latitude actuelle
de la France et affichaient des températures
moyennes de 15 à 20 °C, avec
un climat relativement sec et aride…
« Dans le fjord Scoresby, le taux de sédimentation
était alors rapide, ce qui
permet une haute résolution temporelle,
quasiment mois par mois, souligne
le chercheur. Il est ainsi possible
de mesurer l’impact des perturbations
climatiques extrêmes sur les communautés
biologiques. Il y a 200 millions
d’années, les plantes à grandes feuilles
régnaient. Puis, à mesure que la température
a augmenté, il semble qu’elles
ont été supplantées par des plantes à
petites feuilles. »
Au cours de cette grande crise biologique,
la Terre a subi un réchauffement
climatique corrélé à une forte augmentation
de la concentration du dioxyde
de carbone dans l’atmosphère. Un scénario
similaire à ce que nous vivons
aujourd’hui, mais avec des causes évidemment
différentes. « L’une des hypothèses
avancées, étayée par la présence
de grandes quantités de basaltes, est celle
COHABITATION
La fonte des glaces pousse les ours
vers les villages
« Avec le changement climatique, nous commençons à être envahis par les ours,
remarque Erling Madsen, ancien maire d’Ittoqqortoormiit, situé à l’embouchure
du fjord Scoresby. Nous disposons d’un quota de chasse de 35 ours polaires par
an. Cette année, nous avons atteint ce quota en sept semaines seulement. Mais
les ours affamés sont attirés par la nourriture distribuée aux chiens de traîneau
et s’aventurent de plus en plus souvent dans le village. » Ce qui entraîne
toujours plus de tirs de défense. La fonte précoce de la banquise — sur laquelle
Ursus maritimus chasse les phoques — pousse ces prédateurs vers la terre
ferme et ses communautés humaines. Les habitants du village ont ainsi
l’impression que les populations d’ours augmentent et que les quotas instaurés
en 2007 ne sont plus adaptés. En réalité, il n’existe aucun recensement précis
de ces populations dans le nord-est du Groenland.
d’un important épisode volcanique au
pôle Sud, qui aurait injecté de grandes
quantités de CO 2
dans l’atmosphère »,
explique Pierre Sans-Jofre. Sur le pont
du Kamak caressé par la lumière du soir,
le géologue prépare ses échantillons en
vue de leur retour vers le muséum. Leur
analyse chimique permettra au cours
La Terre Jameson permet d’étudier
la transition entre le trias et le jurassique
qui a connu une extinction de masse,
il y a 200 millions d’années
des prochains mois de les dater et de
retracer leur histoire, celle de l’une des
cinq extinctions majeures que la Terre
a déjà connues. La sixième est en cours.
« Chaque phénomène climatique extrême
rebat les cartes de la vie, remarque Pierre
Sans-Jofre. Il y a 635 millions d’années,
nous sommes passés d’un monde microscopique
à un monde macroscopique. Et
il y a 65 millions d’années, la disparition
des dinosaures a laissé la place aux
primates, et donc à l’humain. » Au-delà
de la sixième extinction, susceptible de
signer la fin de l’humanité, la vie pourrait
ainsi connaître de nouvelles voies d’évolution,
peut-être plus complexes… J
PIERRE VERNAY / BIOSPHOTO
N° 909 - Novembre 2022 - Sciences et Avenir - La Recherche - 59