Le conte de fées littéraire féminin de la fin du XVIIe siècle - Archipel
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Comme le souligne Jean-Paul Sermain dans son ouvrage <strong>Le</strong> <strong>conte</strong> <strong>de</strong> <strong>fées</strong> <strong>du</strong><br />
c<strong>la</strong>ssicisme aux Lumières 299 , les récits <strong>de</strong> nos <strong>conte</strong>uses sont fortement contaminés par une<br />
tradition romanesque <strong>de</strong> l'analyse sentimentale: Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier, dans sa « <strong>Le</strong>ttre à<br />
Mme D. G***» intro<strong>du</strong>isant le <strong>conte</strong> <strong>de</strong> « Marmoisan, nouvelle héroïque et satirique »,<br />
inscrit son œuvre dans <strong>la</strong> lignée <strong>de</strong>s grands romans <strong>féminin</strong>s qui, à l'exemple <strong>de</strong> La Princesse<br />
<strong>de</strong> Clèves, « ont charmé par <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s sentiments et par <strong>la</strong> justesse <strong>de</strong>s expressions 30o ».<br />
De nombreux <strong>conte</strong>s affichent ainsi un goût prononcé pour le pathétique, particulièrement<br />
saisissant dans <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s à valeur dramatique tels que scènes d'adieux ou <strong>de</strong> retrouvailles,<br />
dénouements heureux ou tragiques qui donnent 1ieu à <strong>de</strong>s démonstrations exacerbées <strong>de</strong><br />
douleur ou <strong>de</strong> joie 30' . Citons à titre d'exemple <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> « La Princesse Carpillon» <strong>de</strong><br />
Madame d'Aulnoy dans <strong>la</strong>quelle ['héroïne révèle son i<strong>de</strong>ntité au roi et à <strong>la</strong> reine, ses parents:<br />
La reine fondait en <strong>la</strong>rmes, et [... ] les yeux <strong>du</strong> roi étaient aussi tout moites: [... ] l'un<br />
et l'autre s'empressant <strong>de</strong> <strong>la</strong> serrer entre leurs bras, ils J'y retinrent longtemps sans<br />
pouvoir prononcer une parole; elle s'attendrit aussi bien qu'eux, elle se mit à pleurer<br />
à leur exemple, et l'on ne peut bien exprimer ce qui se passa d'agréable et <strong>de</strong><br />
douloureux entre ces trois illustres infortunés [... ]. Alors les caresses redoublèrent<br />
'1 ' .. 1 h 102<br />
entre eux, et 1 s passerent alllSI que ques eures' .<br />
Alors que cette scène <strong>de</strong> reconnaissance, typique <strong>du</strong> genre romanesque, adopte<br />
volontiers un ton pathétique, un autre type d'épiso<strong>de</strong> également propre au roman, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
première rencontre amoureuse, sert <strong>de</strong> prétexte à un déploiement <strong>de</strong> sensibilité 303 . Madame<br />
d'Aulnoy, dans « La biche au bois », décrit une scène où, pour <strong>la</strong> première fois, le prince voit<br />
Désirée sous sa forme humaine: « <strong>Le</strong>s <strong>la</strong>rmes, les soupirs, les serments et même quelques<br />
., fi' 304<br />
souns gracieux, tout en ut ».<br />
Si les <strong>conte</strong>uses décrivent fréquemment les signes physiques <strong>de</strong> l'amour naissant<br />
mutisme, rougeurs, regards dérobés... -, elles mettent également en évi<strong>de</strong>nce le conflit<br />
intérieur <strong>de</strong>s personnages en proie au caprice <strong>de</strong>s passions. Dans « <strong>Le</strong> pigeon et <strong>la</strong> colombe »,<br />
299 Jean-Paul Sermain, <strong>Le</strong> <strong>conte</strong> <strong>de</strong><strong>fées</strong> <strong>du</strong> c<strong>la</strong>ssicisme aux Lumières, op. ci!., p. 31-32.<br />
300 Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier, « <strong>Le</strong>ttre à Mme D. G*** », Contes, op. cit., p. 37.<br />
301 Sur le goût pathétique au <strong>XVIIe</strong> <strong>siècle</strong>, voir C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Chanta<strong>la</strong>t, « La recherche <strong>du</strong> pathétique ». Ch.<br />
in A <strong>la</strong> recherche <strong>du</strong> goût c<strong>la</strong>ssique, Paris, Klincksieck, 1992, p. 185-209. Sur le pathétique dans les<br />
<strong>conte</strong>s <strong>de</strong> Madame d'Aulnoy, voir Nadine Jasmin, Naissance <strong>du</strong> <strong>conte</strong> <strong>féminin</strong>, op. cit., p. 130-135.<br />
302 Madame d'Aulnoy, « La Princesse Carpillon », Contes <strong>de</strong>s <strong>fées</strong>, op. cil., p. 652.<br />
303 Sur le topos romanesque <strong>de</strong> <strong>la</strong> première rencontre amoureuse, voir Jean Rousset, <strong>Le</strong>urs yeux se<br />
rencontrèrent: <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> première vue dans le roman, Paris, Corti, 1981.<br />
304 Madame d'Aulnoy, « La biche au bois », Contes <strong>de</strong>s<strong>fées</strong>, op. cit., p. 718.<br />
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