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Le conte de fées littéraire féminin de la fin du XVIIe siècle - Archipel

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nativa 443 , allégories d'une beauté oratoire alliant douceur et simplicité, apparaissent tour à<br />

tour, sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> paysannes, aux <strong>de</strong>ux jeunes filles avec lesquelles elles entrent en<br />

conversation pour leur faire passer ce qui s'apparente à une épreuve <strong>de</strong> rhétorique 444 . <strong>Le</strong><br />

<strong>la</strong>ngage et les manières grossières d'Alix lui valent <strong>de</strong> rester toujours <strong>la</strong>i<strong>de</strong> et méchante et <strong>de</strong><br />

vomir crapauds et couleuvres à chaque parole prononcée, alors que les <strong>fées</strong>, charmées par« <strong>la</strong><br />

douceur », « l'esprit» et « <strong>la</strong> politesse 445 » <strong>de</strong> B<strong>la</strong>nche, lui font don <strong>de</strong> voir sortir <strong>de</strong> sa<br />

bouche « <strong>de</strong>s perles, <strong>de</strong>s diamants, <strong>de</strong>s rubis et <strong>de</strong>s émerau<strong>de</strong>s chaque fois qu'elle ferait un<br />

sens <strong>fin</strong>i en par<strong>la</strong>nt ». De retour chez elle, B<strong>la</strong>nche fait à sa belle-mère le récit <strong>de</strong> son<br />

aventure,<br />

[... ] récit [qui] ne se fit pas sans qu'à <strong>la</strong> <strong>fin</strong> <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> B<strong>la</strong>nche, quelque courtes<br />

qu'elles fussent, il ne tombât <strong>de</strong> sa bouche sur le p<strong>la</strong>ncher une pluie plus précieuse<br />

encore que celle qui vainquit Danaé 446 .<br />

La métaphore <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie 447 caractérise ainsi <strong>la</strong> ca<strong>de</strong>nce <strong>du</strong> discours édifiant <strong>de</strong> B<strong>la</strong>nche dont<br />

<strong>la</strong> fertilité, <strong>la</strong> douceur et l'éc<strong>la</strong>t sont allégorisés par le don <strong>de</strong> pierres précieuses 448 . Et pour<br />

tirer le meilleur parti <strong>de</strong> son nouveau don, l'héroïne s'exprime, comme le prescrit <strong>la</strong> fée, au<br />

moyen <strong>de</strong> phrases courtes qui, indépendantes les unes <strong>de</strong>s autres, renferment un sens entier.<br />

<strong>Le</strong> récit <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier fait ainsi l'apologie <strong>du</strong> « style coupé 449 », simple et bref,<br />

c'est-à-d ire d'un <strong>la</strong>ngage adoptant le caractère négl igé <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation, quai ité qui, jointe à<br />

443 Sur les noms <strong>de</strong>s <strong>fées</strong>, voir Ibid., p. 178-179 et <strong>Le</strong>wis C. Siefert, « The Rhetoric of Invraisemb<strong>la</strong>nce<br />

" <strong>Le</strong>s enchantements <strong>de</strong> l'éloquence" », Athens, GA, Cahiers <strong>du</strong> dix-septième, printemps 1989, vol. 3,<br />

nO l, p. 121-139.<br />

444 Notons que chaque apparition se fait dans un même <strong>conte</strong>xte allégorique, près d'une fontaine, l'eau<br />

étant traditionnellement une métaphore <strong>de</strong> l'écoulement <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole.<br />

445 Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier, « <strong>Le</strong>s enchantements <strong>de</strong> l'éloquence », Contes, op. cit., p. 86.<br />

446 Ibid., p. 87.<br />

447 Marc Fumarol i rappelle que cette métaphore a pour origine Cicéron: « Il n'y a pas <strong>de</strong> rythme dans<br />

ce qui est ininterrompu. Ce sont [...] les temps marqués à intervalles égaux ou souvent différents, qui<br />

constituent le rythme; nous pouvons en noter un dans les gouttes qui tombent à intervalles [...] ».<br />

Cicéron, De l'orateur, Paris, Belles-<strong>Le</strong>ttres, 1971, livre Ill, XLVIII, 186, p. 76. Voir Marc Fumaroli,<br />

« <strong>Le</strong>s enchantements <strong>de</strong> l'éloquence », loc. cil., p. 179.<br />

448 Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier s'écarte ici <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition <strong>de</strong> <strong>la</strong> rhétorique savante qui représente <strong>la</strong> force <strong>de</strong><br />

l'éloquence par l'image <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre et <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> l'éloquence élogieuse par celle <strong>de</strong>s fleurs.<br />

449 L'opposition entre « style coupé» et «style périodique» alimente un <strong>de</strong>s grands débats <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

rhétorique humaniste. <strong>Le</strong> « style périodique », à l'exemple <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Cicéron, se dé<strong>fin</strong>it par une<br />

complexité dans <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s phrases dont le sens n'est complètement compris qu'à <strong>la</strong> <strong>fin</strong>. <strong>Le</strong><br />

« style coupé », à l'exemple <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Sénèque, se dé<strong>fin</strong>it par l'emploi <strong>de</strong> phrases courtes qui<br />

renferment un sens entier. Celui-ci apparaît plus conforme au jaillissement naturel <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole. Voir<br />

Marc Fumaroli, « <strong>Le</strong>s enchantements <strong>de</strong> l'éloquence », <strong>la</strong>c. cil., p. 180.<br />

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