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Le conte de fées littéraire féminin de la fin du XVIIe siècle - Archipel

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où elle prési<strong>de</strong> sous le nom <strong>de</strong> « Fée Ludovie ». Une lettre qu'elle adresse à l'abbé <strong>de</strong><br />

Bellegar<strong>de</strong> atteste <strong>de</strong> sa perplexité à discerner les frontières <strong>du</strong> réel et <strong>de</strong> <strong>la</strong> féerie:<br />

Croyez-vous, Monsieur, qu'il y ait jamais eu <strong>de</strong>s Fées? On me l'a dit tant <strong>de</strong> fois, et<br />

j'en ai été si souvent bercée, que je ne saurais me l'ôter <strong>de</strong> l' esprie 15.<br />

L'atmosphère féerique <strong>de</strong>s <strong>conte</strong>s gagne ainsi quelquefois <strong>la</strong> réalité; cependant, croyances<br />

païennes et superstitions appartiennent surtout, à <strong>la</strong> <strong>fin</strong> <strong>du</strong> <strong>XVIIe</strong> <strong>siècle</strong>, à une tradition<br />

popu<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong> tendance générale parmi les milieux intellectuels étant l'adhésion aux théories<br />

cartésiennes qui glorifient <strong>la</strong> raison et qui in<strong>du</strong>isent <strong>de</strong> ce fait une certaine méfiance vis-à-vis<br />

<strong>du</strong> merveilleux. C'est ainsi que les <strong>conte</strong>s <strong>de</strong> <strong>fées</strong> <strong>littéraire</strong>s sont parfois exempts <strong>de</strong> toute<br />

féerie. Si les <strong>conte</strong>uses, comme nous l'avons vu dans le chapitre précé<strong>de</strong>nt, utilisent le<br />

merveilleux à <strong>de</strong>s <strong>fin</strong>s ludiques, il s'agit, le plus souvent, d'un merveilleux qu'elles<br />

rationnalisent ou qu'elles utilisent avec une distance amusée: une manière <strong>de</strong> souligner leur<br />

appartenance à une élite intellectuelle qui témoigne <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> con<strong>de</strong>scendance vis-à­<br />

vis <strong>de</strong>s croyances popu<strong>la</strong>ires d'un mon<strong>de</strong> paysan tenu pour cré<strong>du</strong>le et ignorant 316 . Ainsi, dans<br />

« <strong>Le</strong>s enchantements <strong>de</strong> l'éloquence» <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier, B<strong>la</strong>nche ne croit pas à <strong>la</strong><br />

vertu curative <strong>du</strong> baume, remè<strong>de</strong> popu<strong>la</strong>ire que lui présente, a<strong>fin</strong> <strong>de</strong> soigner sa blessure, <strong>la</strong> fée<br />

déguisée en paysanne:<br />

B<strong>la</strong>nche, qui avait beaucoup d'esprit, et qui était dépréoccupée <strong>de</strong>s erreurs<br />

popu<strong>la</strong>ires, crut que le baume dont on lui par<strong>la</strong>it était quelqu'un <strong>de</strong> ces remè<strong>de</strong>s dont<br />

le peuple s'entête, et qu'il faut appeler <strong>de</strong> petits remè<strong>de</strong>s innocents parce qu'il faut<br />

, fr b' . ,. 317<br />

etre en e let len lI1nocent pour s en servIr" .<br />

<strong>Le</strong>s <strong>conte</strong>uses raillent superstitions et croyances popu<strong>la</strong>ires, <strong>de</strong> même que les peurs infondées<br />

qui leur sont associées. Dans « Gracieuse et Percinet », <strong>la</strong> Duchesse Grognon, terrible marâtre<br />

qui persécute et effraie <strong>la</strong> princesse, s'apparente à une ogresse: « sa bouche était si gran<strong>de</strong>,<br />

qu'on eût dit qu'elle vou<strong>la</strong>it manger tout le mon<strong>de</strong> [...] ». Personnage surnaturel issu d'une<br />

culture popu<strong>la</strong>ire, l'ogre figure <strong>la</strong> peur ancestrale <strong>de</strong> <strong>la</strong> dévoration, peur dénoncée, non sans<br />

315Abbé <strong>de</strong> Bellegar<strong>de</strong>, <strong>Le</strong>llres curieuses <strong>de</strong> lilléralure el <strong>de</strong> morale, Paris, Guignard, 1702, p. 170-176.<br />

Cité par Mary Elisabeth Storer, Un épiso<strong>de</strong> lilléraire <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>fin</strong> <strong>du</strong> XVI! <strong>siècle</strong>, op. cil., p. 217.<br />

316 Raymon<strong>de</strong> Robert rappelle que <strong>la</strong> littérature <strong>du</strong> XVII' <strong>siècle</strong> développe <strong>de</strong>ux images contradictoires<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie paysanne: une image idyllique et irréaliste dé<strong>fin</strong>ie dans les romans pastoraux et celle d'une<br />

humanité grossière et imbécile exposée dans l'épiso<strong>de</strong> central <strong>du</strong> roman <strong>de</strong> Charles Sorel, l'Hisloire<br />

comique <strong>de</strong> Francion (1623). Raymon<strong>de</strong> Robert, <strong>Le</strong> conie <strong>de</strong> <strong>fées</strong> lilléraire, op. cil., p. 391.<br />

317 Ma<strong>de</strong>moiselle Lhéritier, « <strong>Le</strong>s enchantements <strong>de</strong> l'éloquence », Conles, op. cil., p. 84. En italique<br />

dans le texte.<br />

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