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qu’elle avait marché vers lui sans même le vouloir. Elle s’obligea à s’éloigner et alla prendre la robe de
chambre brodée jetée sur son lit à baldaquin et l’enfila tout en se dirigeant vers la fenêtre dont elle avait
fracassé les vitraux et tordu les barreaux à mains nues quelques heures plus tôt. On en avait fermé les
volets, en prévision du matin suivant et cela lui serait encore plus facile de les briser. Elle pourrait à
nouveau s’enfuir, mais savait très bien qu’elle serait rattrapée et punie encore une fois.
Un frisson de colère la traversa et elle agrippa les montants de toutes ses forces. Elle devait être forte.
N’était-elle pas la fille d’un boyard ? N’avait-elle pas enduré d’impitoyables hivers et de terribles
douleurs ? N’avait-elle pas survécu malgré l’adversité et les privations ? La volonté des kossars
l’habitait. Elle était une Kislévite, née avec de la glace dans les veines.
Mais c’était avant… Avant que Krieger la tue et la ressuscite à son image. Avant qu’elle ait été
changée en monstre, avant qu’il ait affaibli son esprit avec ses soupirs corrupteurs et ses lèvres
ensanglantées. Après le baiser, elle s’était réveillée, mais avec plus rien dans les veines. Ce vide était
encore plus mordant que le pire des hivers, pire que la mort de ceux qu’elle avait aimés ou la perte de
son honneur. Il lui fallait le combler.
Elle jeta un autre coup d’œil au sablier. Même pas rempli au quart. Sans même se retourner, elle sentait
la chaleur du sang du jeune Johannes irradier dans son dos, comme s’il y brûlait le centre de la Terre.
Elle le voulait plus près d’elle. Elle voulait s’y réchauffer les mains. La froidure de l’hiver ne pouvait
peut-être plus l’affecter, mais ce gouffre en elle la glaçait comme si elle avait été plongée dans un étang
gelé.
—Que faites-vous, maîtresse ? Une heure ne s’est pas encore écoulée.
Ulrika se surprit elle-même à s’approcher à nouveau du jeune homme, elle ne se souvenait même pas
s’être retournée vers lui. Elle essaya de parler, de le rassurer de quelques mots, mais ses crocs ne lui
permirent que de pousser un grognement guttural. Il se pressa contre la porte, les yeux grands ouverts.
L’odeur de sa peur lui fit perdre tout contrôle, elle tendit les mains vers lui, toutes griffes dehors.
Il poussa un cri et tenta d’ouvrir la porte, elle la referma d’un coup de pied, lui coinçant les doigts de la
main droite, puis elle l’en écarta sans ménagement et le jeta sur la table. Le sablier vola au sol. Ses doigts
étaient restés dans la porte.
Il tomba lourdement au sol, posant un regard horrifié sur sa main mutilée. Elle l’attrapa par le col de la
chemise et le releva, lui soulevant les pieds du sol. Il n’arrêtait pas de hurler.
—Ferme-là ! lui cria-t-elle. Arrête de crier !
Il n’arrêta pas.
Elle lui déchira la gorge de ses crocs.
Enfin le silence.
Ulrika était à quatre pattes, occupée à dévorer le cœur encore chaud, quand la comtesse Gabriella ouvrit
la porte. Elle secoua la tête et soupira en constatant l’ampleur du carnage. Les organes du jeune Johannes
étaient dispersés sur les dalles de la chambre circulaire, comme des icebergs sur une mer de sang.
—Ça ne va pas aller, dit-elle. Ça ne va pas aller du tout.
Ulrika leva les yeux et ouvrit la bouche pour l’envoyer au diable, mais une nouvelle convulsion la
secoua et elle vomit un flot d’organes non digérés sur le sol de pierre. Jamais elle ne s’était sentie aussi
malade de toute son existence, y compris après sa mort. Elle se sentait pleine, son estomac était distendu
comme une outre de vin et elle ressentait une nausée pire que celles qui avaient suivi les soirées de
beuveries en compagnie des soldats de son père.
Mais ce n’était rien en comparaison de ce mal-être au plus profond de son âme. Elle était horrifiée par
ce qu’elle avait fait, dégoûtée par sa propre sauvagerie. Durant sa vie, la précédente, elle s’était parfois