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Ulrika soupira de soulagement.<br />
—Merci, maîtresse, souffla Ulrika. Je ne savais pas <strong>ce</strong> que devait répondre une dame.<br />
—App’lez-moi Gabby, ici, m’dame, répondit Gabriella en gardant son ton de servante. Et une dame<br />
laisserait sa servante répondre pour elle. Des manants de <strong>ce</strong> genre ne sont pas dignes de se voir adresser<br />
la parole par une dame de ta tenue.<br />
Elles étaient assises <strong>au</strong> coin d’une table de La Cruche et la Baguette, une taverne d’un standing<br />
qu’évitait normalement les dames de qualité, que <strong>ce</strong> soit avec ou sans escorte, et elles se virent donc<br />
gratifier de regards équivoques et de remarques sala<strong>ce</strong>s par la clientèle populaire et braillarde.<br />
—Voilà pourquoi les rues sont vides, dit Gabriella en élevant la voix pour se faire entendre malgré le<br />
brouhaha. Ils se sont tous donné rendez-vous ici.<br />
Ulrika hocha la tête. Cela semblait vrai. Assis <strong>au</strong>x tables, sous le bas plafond qui paraissait soutenu par<br />
une couche de fumée tant <strong>ce</strong>lle-ci était épaisse, de joyeux vantards et coupeurs de bourses rigolaient et<br />
buvaient en compagnie d’ouvriers des fonderies, pendant que des serveuses parées de couleurs<br />
outrageuses encaissaient leur monnaie et les accompagnaient parfois à l’étage. D’<strong>au</strong>tres individus se<br />
vantaient à h<strong>au</strong>te voix d’avoir participé <strong>au</strong>x événements du jour lors desquels ils avaient eux-mêmes<br />
démasqué moult vampires et les avaient traînés <strong>au</strong> bûcher. Chaque nouve<strong>au</strong> fanfaron faisait grandir de<br />
plus en plus les crocs et les griffes de <strong>ce</strong>s monstres. Ulrika secoua la tête, stupéfaite et écœurée. Ils<br />
s’étaient agglutinés tels des s<strong>au</strong>vages <strong>au</strong>tour de la cheminée, toute leur prétendue bravoure ne les<br />
empêchait pas d’avoir peur du noir, se dit-elle.<br />
Gabriella semblait ne porter <strong>au</strong>cune attention à <strong>ce</strong>s histoires ou à <strong>ce</strong>ux qui les racontaient. Elle ne<br />
faisait que surveiller les allées et venues des filles qui traversaient la piè<strong>ce</strong> ainsi que leur commer<strong>ce</strong>,<br />
pendant qu’Ulrika se contentait d’attendre, plutôt mal à l’aise. Ce n’était pas l’endroit qui la mettait dans<br />
un tel état, même si <strong>ce</strong>tte panique latente et per<strong>ce</strong>ptible derrière <strong>ce</strong>s rigolades avait de quoi vous mettre<br />
les nerfs à vif. Elle s’était trouvée dans des tavernes bien plus malfamées à de très nombreuses reprises,<br />
comme L’Ours Blanc à Praag, par exemple, et elle avait même passé quelques bonnes soirées <strong>au</strong> cours<br />
de sa vie avec des soldats ou même des ruffians. C’était <strong>ce</strong> que Gabriella voulait qu’elle fasse qui la<br />
mettait <strong>au</strong>ssi mal à l’aise.<br />
—Maîtresse, se décida-t-elle enfin à dire en se penchant à l’oreille de Gabriella. Je vois très bien<br />
comment votre ruse va fonctionner avec vous, mais moi… je ne me suis jamais faite passer pour une<br />
prostituée. Je ne sais pas comment m’y prendre. J’ai peur de réduire votre plan à néant.<br />
Gabriella se tourna vers elle, la regarda de h<strong>au</strong>t en bas, puis lui adressa un sourire malicieux.<br />
—C’est vrai. Ta taille et ta stature te donnent une <strong>ce</strong>rtaine be<strong>au</strong>té solennelle quand tu es vêtue comme<br />
une dame, mais tu <strong>au</strong>ras l’air d’un clown habillée comme une fille de joie.<br />
Elle fronça les sourcils durant plusieurs secondes, puis éclata de rire.<br />
—Ah ! J’ai trouvé ! Tu vas à nouve<strong>au</strong> porter un pantalon, puisque tu sembles bien plus à l’aise dans<br />
<strong>ce</strong>tte tenue, et tu joueras mon malard.<br />
Ulrika h<strong>au</strong>ssa un sourcil.<br />
—Et qu’est-<strong>ce</strong> donc qu’un malard ?<br />
Gabriella s’amusa de <strong>ce</strong>tte question.<br />
—Je vois que tu n’es pas familière avec <strong>ce</strong> vocabulaire. Étrange. Un malard est un gentilhomme de<br />
sexe féminin, le compagnon et protecteur de dames de petite vertu qui ne font pas confian<strong>ce</strong> <strong>au</strong>x hommes.<br />
Ils veillent sur elles et s’assurent qu’elles sont payées pour leurs… servi<strong>ce</strong>s.<br />
Ulrika cligna des yeux, éberluée, alors qu’elle saisissait <strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>la signifiait, <strong>ce</strong> qui fit rire Gabriella.<br />
—Ne crains rien, mon enfant. Ce rôle ne te demandera pas be<strong>au</strong>coup d’efforts. Tu devras juste avoir<br />
l’air dangereux et renfrogné, et ça, tu y arrives déjà très bien.