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Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"

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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />

Quand on ne croit plus en soi-même, on cesse de produire ou de bata<strong>il</strong>ler, on cesse même de se<br />

poser des questions ou d'y répondre, alors que c'est le contraire qui devrait avoir lieu, vu que c'est<br />

justement à partir de ce moment qu'étant libre d'attaches, on est apte à saisir le vrai, à <strong>di</strong>scerner ce<br />

qui est réel de ce qui ne l'est pas. Mais une fois tarie la confiance à son propre rôle, ou à son propre<br />

lot, on devient incurieux de tout, même de la « vérité », bien qu'on en soit plus près que jamais.<br />

*<br />

Au Para<strong>di</strong>s, je ne tiendrais pas une « saison », ni même un jour. Comment expliquer alors la<br />

nostalgie que j'en ai? Je ne l'explique pas, elle m'habite depuis toujours, elle était en moi avant moi.<br />

*<br />

N'importe qui peut avoir de loin en loin le sentiment de n'occuper qu'un point et un instant;<br />

connaître ce sentiment jour et nuit, toutes les heures en fait, cela est moins commun, et c'est à partir<br />

de cette expérience, de cette don<strong>né</strong>e, qu'on se tourne vers le nirvâna ou le sarcasme, ou vers les<br />

deux à la fois.<br />

Bien qu'ayant juré de ne jamais pécher contre la sainte concision, je reste toujours complice des<br />

mots, et si je suis séduit par le s<strong>il</strong>ence, je n'ose y entrer, je rôde seulement à sa périphérie.<br />

On devrait établir le degré de vérité d'une religion d'après le cas qu'elle fait du Démon : plus elle<br />

lui accorde une place éminente, plus elle témoigne qu'elle se soucie du réel, qu'elle se refuse aux<br />

supercheries et au mensonge, qu'elle est sérieuse, qu'elle tient plus à constater qu'à <strong>di</strong>vaguer, qu'à<br />

consoler.<br />

Rien ne mérite <strong>d'être</strong> défait, sans doute parce que rien ne méritait <strong>d'être</strong> fait. Ainsi on se détache<br />

de tout, de l'originel autant que de l'ultime, de l'avènement comme de l'effondrement.<br />

*<br />

*<br />

*<br />

*<br />

Que tout ait été <strong>di</strong>t, qu'<strong>il</strong> n'y ait plus rien à <strong>di</strong>re, on le sait, on le sent. Mais ce qu'on sent moins est<br />

que cette évidence confère au langage un statut étrange, voire inquiétant, qui le rachète. Les mots<br />

sont enfin sauvés, parce qu'<strong>il</strong>s ont cessé de vivre.<br />

L'immense bien et l'immense mal que j'aurais retirés de mes ruminations sur la con<strong>di</strong>tion des<br />

morts.<br />

*<br />

*<br />

L'indéniable avantage de vie<strong>il</strong>lir est de pouvoir observer de près la lente et<br />

métho<strong>di</strong>que<br />

dégradation des organes; <strong>il</strong>s commencent tous à craquer, les uns d'une façon voyante, les autres,<br />

<strong>di</strong>scrète. Ils se détachent du corps, comme le corps se détache de nous : <strong>il</strong> nous échappe, <strong>il</strong> nous fuit,<br />

<strong>il</strong> ne nous appartient plus. C'est un transfuge que nous ne pouvons même pas dénoncer, puisqu'<strong>il</strong> ne<br />

s'arrête nulle part et ne se met au service de personne.<br />

*<br />

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