Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
Seules réussissent les ph<strong>il</strong>osophies et les religions qui nous flattent, que ce soit au nom du<br />
progrès ou de l'enfer. Dam<strong>né</strong> ou non, l'homme éprouve un besoin absolu <strong>d'être</strong> au cœur de tout.<br />
C'est même uniquement pour cette raison qu'<strong>il</strong> est homme, qu'<strong>il</strong> est devenu homme. Et si un jour <strong>il</strong><br />
ne ressentait plus ce besoin, <strong>il</strong> lui faudrait s'effacer au profit d'un autre animal plus orgue<strong>il</strong>leux et<br />
plus fou.<br />
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Il répugnait aux vérités objectives, à la corvée de l'argumentation, aux raisonnements soutenus. Il<br />
n'aimait pas démontrer, <strong>il</strong> ne tenait à convaincre personne. Autrui est une invention de <strong>di</strong>alecticien.<br />
Plus on est lésé par le temps, plus on veut y échapper. Écrire une page sans défaut, une phrase<br />
seulement, vous élève au-dessus du devenir et de ses corruptions. On transcende la mort par la<br />
recherche de l'indestructible à travers le verbe, à travers le symbole même de la caducité.<br />
Au plus vif d'un échec, au moment où la honte menace de nous terrasser, tout à coup nous<br />
emporte une fré<strong>né</strong>sie d'orgue<strong>il</strong>, qui ne dure pas longtemps, juste assez pour nous vider, pour nous<br />
laisser sans énergie, pour faire baisser, avec nos forces, l'intensité de notre honte.<br />
Si la mort est aussi horrible qu'on le prétend, comment se fait-<strong>il</strong> qu'au bout d'un certain temps<br />
nous estimons heureux n'importe quel être, ami ou ennemi, qui a cessé de vivre?<br />
Plus d'une fois, <strong>il</strong> m'est arrivé de sortir de chez moi, parce que si j'y étais resté, je n'étais pas sûr<br />
de pouvoir résister à quelque résolution soudaine. La rue est plus rassurante, parce qu'on y pense<br />
moins à soi-même, et que tout s'y affaiblit et s'y dégrade, en commençant par le désarroi.<br />
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C'est le propre de la mala<strong>di</strong>e de ve<strong>il</strong>ler quand tout dort, quand tout se repose, même le malade.<br />
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Jeune, on prend un certain plaisir aux infirmités. Elles semblent si nouvelles, si riches! Avec<br />
l'âge, elles ne surprennent plus, on les connaît trop. Or, sans un soupçon d'imprévu, elles ne méritent<br />
pas <strong>d'être</strong> endurées.<br />
Dès qu'on fait appel au plus intime de soi, et qu'on se met à œuvrer et à se manifester, on<br />
s'attribue des dons, on devient insensible à ses propres lacunes. Nul n'est à même d'admettre que ce<br />
qui surgit de ses profondeurs pourrait ne rien valoir. La « connaissance de soi »? Une contra<strong>di</strong>ction<br />
dans les termes.<br />
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