Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
Je ne me lasse pas de lire sur les ermites, de préférence sur ceux dont on a <strong>di</strong>t qu'<strong>il</strong>s<br />
étaient « fatigués de chercher Dieu ». Je suis ébloui par les ratés du Désert.<br />
Si, on ne sait comment, Rimbaud avait pu continuer (autant se représenter les lendemains de<br />
l'inouï, un Nietzsche en pleine production après Ecce Home), <strong>il</strong> aurait fini par reculer, par s'assagir,<br />
par commenter ses explosions, par les expliquer, et s'expliquer. Sacr<strong>il</strong>ège dans tous les cas, l'excès<br />
de conscience n'étant qu'une forme de profanation.<br />
Je n'ai approfon<strong>di</strong> qu'une seule idée, à savoir que tout ce que l'homme accomplit se retourne<br />
<strong>né</strong>cessairement contre lui. L'idée n'est pas neuve, mais je l'ai vécue avec une force de conviction, un<br />
acharnement dont jamais fanatisme ni délire n'a approché. Il n'est martyre, <strong>il</strong> n'est déshonneur que je<br />
ne souffrirais pour elle, et je ne l'échangerais contre aucune autre vérité, contre aucune autre<br />
révélation.<br />
Aller plus loin encore que le Bouddha, s'élever au-dessus du nirvâna, apprendre à s'en passer...,<br />
n'être plus arrêté par rien, même par l'idée de délivrance, la tenir pour une simple halte, une gêne,<br />
une éclipse...<br />
Mon faible pour les dynasties condam<strong>né</strong>es, pour les empires croulants, pour les Montezuma de<br />
toujours, pour ceux qui croient aux signes, pour les déchirés et les traqués, pour les intoxiqués<br />
d'i<strong>né</strong>luctable, pour les menacés, pour les dévorés, pour tous ceux qui attendent leur bourreau...<br />
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Je passe sans m'arrêter devant la tombe de ce critique dont j'ai remâché maints propos fielleux. Je<br />
ne m'arrête pas davantage devant celle du poète qui, vivant, ne songea qu'à sa <strong>di</strong>ssolution finale.<br />
D'autres noms me poursuivent, des noms d'a<strong>il</strong>leurs, liés à un enseignement impitoyable et apaisant,<br />
à une vision bien faite pour expulser de l'esprit toutes les obsessions, même les<br />
funèbres.<br />
Nâgârjuna, Candrakîrti, Çantideva —, pourfendeurs non pare<strong>il</strong>s, <strong>di</strong>alecticiens trava<strong>il</strong>lés par<br />
l'obsession du salut, acrobates et apôtres de la Vacuité..., pour qui, sages entre les sages, l'univers<br />
n'était qu'un mot...<br />
Le spectacle de ces feu<strong>il</strong>les si empressées de tomber, j'ai beau l'observer depuis tant d'automnes,<br />
je n'en éprouve pas moins chaque fois une surprise où « le froid dans le dos » l'emporterait de loin<br />
sans l'irruption, au dernier moment, d'une allégresse dont je n'arrive pas à démêler l'origine.<br />
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Il est des moments où, si éloig<strong>né</strong>s que nous soyons de toute foi, nous ne concevons que Dieu<br />
comme interlocuteur. Nous adresser à quelqu'un d'autre nous semble une impossib<strong>il</strong>ité ou une folie.<br />
La solitude, à son stade extrême, exige une forme de conversation, extrême elle aussi.<br />
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