Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
J'ai décidé de ne plus m'en prendre à personne depuis que j'ai observé que je finis toujours par<br />
ressembler à mon dernier ennemi.<br />
Pendant bien longtemps, j'ai vécu avec l'idée que j'étais l'être le plus normal qui fut jamais. Cette<br />
idée me donna le goût, voire la passion, de l'improductivité : à quoi bon se faire valoir dans un<br />
monde peuplé de fous, enfoncé dans la niaiserie ou le délire? Pour qui se dépenser et à quelle fin?<br />
Reste à savoir si je me suis entièrement libéré de cette certitude, salvatrice dans l'absolu, ruineuse<br />
dans l'immé<strong>di</strong>at.<br />
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Les violents sont en gé<strong>né</strong>ral des chétifs, des « crevés ». Ils vivent en perpétuelle combustion, aux<br />
dépens de leur corps, exactement comme les ascètes, qui, eux, s'exerçant à la quiétude, à la paix, s'y<br />
usent et s'y épuisent, autant que des furieux.<br />
On ne devrait écrire des livres que pour y <strong>di</strong>re des choses qu'on n'oserait confier à personne.<br />
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Quand Mâra, le Tentateur, essaie de supplanter le Bouddha, celui-ci lui <strong>di</strong>t entre autre : « <strong>De</strong> quel<br />
droit prétends-tu régner sur les hommes et sur l'univers? Est-ce que tu as souffert pour la<br />
connaissance? »<br />
C'est la question capitale, peut-être unique, que l'on devrait se poser lorsqu'on s'interroge sur<br />
n'importe qui, principalement un penseur. On ne saurait assez faire le départ entre ceux qui ont payé<br />
pour le moindre pas vers la connaissance et ceux, incomparablement plus nombreux, à qui fut<br />
départi un savoir commode, in<strong>di</strong>fférent, un savoir sans épreuves.<br />
On <strong>di</strong>t : Tel n'a pas de talent, <strong>il</strong> n'a qu'un ton. Mais le ton est justement ce qu'on ne saurait<br />
inventer, avec quoi on naît. C'est une grâce héritée, le priv<strong>il</strong>ège qu'ont certains de faire sentir leur<br />
pulsation organique, le ton c'est plus que le talent, c'en est l'essence.<br />
Le même sentiment d'inappartenance, de jeu inut<strong>il</strong>e, où que j'a<strong>il</strong>le : je feins de m'intéresser à ce<br />
qui ne m'importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité sans jamais être dans le<br />
coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m'attire est a<strong>il</strong>leurs, et cet a<strong>il</strong>leurs je ne sais ce qu'<strong>il</strong> est.<br />
Plus les hommes s'éloignent de Dieu, plus <strong>il</strong>s avancent dans la connaissance des religions.<br />
« ... Mais Elohim sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront. »<br />
A peine se sont-<strong>il</strong>s ouverts, que le drame commence. Regarder sans comprendre, c'est cela le<br />
para<strong>di</strong>s. L'enfer serait donc le lieu où l'on comprend, où l'on comprend trop...<br />
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