Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
Un malheur pré<strong>di</strong>t, lorsqu'<strong>il</strong> survient enfin, est <strong>di</strong>x, cent fois plus dur à supporter qu'un malheur<br />
que nous n'atten<strong>di</strong>ons pas. Tout au long de nos appréhensions, nous l'avons vécu d'avance, et, quand<br />
<strong>il</strong> surgit, ces tourments passés s'ajoutent aux présents, et forment ensemble une masse d'un poids<br />
intolérable.<br />
Il tombe sous le sens que Dieu était une solution, et qu'on n'en trouvera jamais une aussi<br />
satisfaisante.<br />
Je n'admirerais pleinement qu'un homme déshonoré — et heureux. Vo<strong>il</strong>à quelqu'un, me <strong>di</strong>rais-je,<br />
qui fait fi de l'opinion de ses semblables et qui puise bonheur et consolation en lui seul.<br />
L'homme du Rubicon avait, après Pharsale, pardon<strong>né</strong> à trop de monde. Une telle magnanimité<br />
parut offensante à ceux de ses amis qui l'avaient trahi et qu'<strong>il</strong> avait hum<strong>il</strong>iés en les traitant sans<br />
rancune. Ils se sentaient <strong>di</strong>minués, bafoués, et <strong>il</strong>s le punirent pour sa clémence ou pour son mépris :<br />
<strong>il</strong> refusait donc de s'abaisser au ressentiment! Se fût-<strong>il</strong> comporté en tyran, qu'<strong>il</strong>s l'auraient éparg<strong>né</strong>.<br />
Mais <strong>il</strong>s lui en voulaient parce qu'<strong>il</strong> n'avait pas daig<strong>né</strong> leur inspirer suffisamment de peur.<br />
Tout ce qui est engendre, tôt ou tard, le cauchemar. Tâchons donc d'inventer quelque chose de<br />
mieux que l'être.<br />
La ph<strong>il</strong>osophie, qui s'était don<strong>né</strong> pour tâche de miner les croyances, lorsqu'elle vit le<br />
christianisme se répandre et sur le point de vaincre, fit cause commune avec le paganisme, dont les<br />
superstitions lui semblèrent préférables aux insanités triomphantes. En attaquant les <strong>di</strong>eux et en les<br />
démolissant, elle avait cru libérer les esprits; en réalité, elle les livrait à une servitude nouvelle, pire<br />
que l'ancienne, le <strong>di</strong>eu qui allait se substituer aux <strong>di</strong>eux n'ayant un faible spécial ni pour la tolérance<br />
ni pour l'ironie.<br />
La ph<strong>il</strong>osophie, objectera-t-on, n'est pas responsable de l'avènement de ce <strong>di</strong>eu, ce n'est pas lui<br />
qu'elle recommandait. Sans doute, mais elle aurait dû se douter qu'on ne sapait pas impu<strong>né</strong>ment les<br />
<strong>di</strong>eux, que d'autres viendraient prendre leur place et qu'elle n'avait rien à gagner au change.<br />
Le fanatisme est la mort de la conversation. On ne bavarde pas avec un can<strong>di</strong>dat au martyre. Que<br />
<strong>di</strong>re à quelqu'un qui refuse de pé<strong>né</strong>trer vos raisons et qui, du moment que l'on ne s'incline pas<br />
devant les siennes, aimerait mieux périr que céder? Vivement des d<strong>il</strong>ettantes et des sophistes qui,<br />
eux du moins, entrent dans toutes les raisons...<br />
C'est s'investir d'une supériorité bien abusive que de <strong>di</strong>re à quelqu'un ce qu'on pense de lui et de<br />
ce qu'<strong>il</strong> fait. La franchise n'est pas compatible avec un sentiment délicat, elle ne l'est même pas avec<br />
une exigence éthique.<br />
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