Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
tabac. Et c'est d'a<strong>il</strong>leurs ce que fait ce « dépressif » lui-même quand <strong>il</strong> décide d'en finir : <strong>il</strong> emploie<br />
les grands moyens.<br />
Par rapport à n'importe quel acte de la vie, l'esprit joue le rôle de trouble-fête.<br />
Les éléments, fatigués de ressasser un thème éculé, dégoûtés de leurs combinaisons toujours les<br />
mêmes, sans variation ni surprise, on les imagine très bien cherchant quelque <strong>di</strong>vertissement : la vie<br />
ne serait qu'une <strong>di</strong>gression, qu'une anecdote...<br />
Tout ce qui se fait me semble pernicieux et, dans le me<strong>il</strong>leur des cas, inut<strong>il</strong>e. A la rigueur, je peux<br />
m'agiter mais je ne peux agir. Je comprends bien, trop bien, le mot de Wordsworth sur Coleridge :<br />
Eternal activity without action.<br />
Toutes les fois que quelque chose me semble encore possible, j'ai l'impression d'avoir été<br />
ensorcelé.<br />
L'unique confession sincère est celle que nous faisons in<strong>di</strong>rectement — en parlant des autres.<br />
Nous n'adoptons pas une croyance parce qu'elle est vraie (elles le sont toutes), mais parce qu'une<br />
force obscure nous y pousse. Que cette force vienne à nous quitter, et c'est la prostration et le krach,<br />
le tête-à-tête avec ce qui reste de nous-même.<br />
« C'est le propre de toute forme parfaite que l'esprit s'en dégage de façon immé<strong>di</strong>ate et <strong>di</strong>recte,<br />
tan<strong>di</strong>s que la forme vicieuse le retient prisonnier, tel un mauvais miroir qui ne nous rappelle rien<br />
d'autre que lui-même. »<br />
En faisant cet éloge — si peu allemand — de la limpi<strong>di</strong>té, Kleist n'avait pas songé spécialement à<br />
la ph<strong>il</strong>osophie, ce n'est en tout cas pas elle qu'<strong>il</strong> visait; <strong>il</strong> n'empêche que c'est la me<strong>il</strong>leure critique<br />
qu'on ait faite du jargon ph<strong>il</strong>osophique, pseudo-langage qui, voulant refléter des idées, ne réussit<br />
qu'à prendre du relief à leurs dépens, qu'à les dénaturer et à les obscurcir, qu'à se mettre lui-même<br />
en valeur. Par une des usurpations les plus affligeantes, le mot est devenu vedette dans un domaine<br />
où <strong>il</strong> devrait être imperceptible.<br />
« O Satan, mon Maître, je me donne à toi pour toujours! » — Que je regrette de n'avoir pas<br />
retenu le nom de la religieuse qui, ayant écrit cela avec un clou trempé dans son sang, mériterait de<br />
figurer dans une anthologie de la prière et du laconisme!<br />
La conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard dans la chair.<br />
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