22.06.2013 Views

Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"

Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"

Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />

Cet instant-ci, mien encore, le vo<strong>il</strong>à qui s'écoule, qui m'échappe, le vo<strong>il</strong>à englouti. Vais-je me<br />

commettre avec le suivant? Je m'y décide : <strong>il</strong> est là, <strong>il</strong> m'appartient, et déjà <strong>il</strong> est loin. Du matin au<br />

soir, fabriquer du passé!<br />

Après avoir, en pure perte, tout tenté du côté des mystiques, <strong>il</strong> ne lui restait plus qu'une issue :<br />

sombrer dans la sagesse...<br />

*<br />

*<br />

Dès qu'on se pose des questions <strong>di</strong>tes ph<strong>il</strong>osophiques et qu'on emploie l'i<strong>né</strong>vitable jargon, on<br />

prend un air supérieur, agressif, et cela dans un domaine où, l'insoluble étant de rigueur, l'hum<strong>il</strong>ité<br />

devrait l'être aussi. Cette anomalie n'est qu'apparente. Plus les questions qu'on aborde sont de ta<strong>il</strong>le,<br />

plus on perd la tête : on finit même par se prêter à soi-même les <strong>di</strong>mensions qu'elles possèdent. Si<br />

l'orgue<strong>il</strong> des théologiens est plus « puant » encore que celui des ph<strong>il</strong>osophes, c'est qu'on ne s'occupe<br />

pas impu<strong>né</strong>ment de Dieu : on en arrive à s'arroger malgré soi quelques-uns de ses attributs, les pires<br />

s'entend.<br />

En paix avec lui-même et le monde, l'esprit s'étiole. Il s'épanouit à la moindre contrariété. La<br />

pensée n'est en somme que l'exploitation éhontée de nos gênes et de nos <strong>di</strong>sgrâces.<br />

Ce corps, fidèle autrefois, me désavoue, ne me suit plus, a cessé <strong>d'être</strong> mon complice. Rejeté,<br />

trahi, mis au rancart, que deviendrais-je si de vie<strong>il</strong>les infirmités, pour me marquer leur loyauté, ne<br />

venaient me tenir compagnie à toute heure du jour et de la nuit?<br />

Les gens « <strong>di</strong>stingués » n'inventent pas en matière de langage. Y excellent au contraire tous ceux<br />

qui improvisent par forfanterie ou se vautrent dans une grossièreté teintée d'émotion. Ce sont des<br />

natures, <strong>il</strong>s vivent à même les mots. Le génie verbal serait-<strong>il</strong> l'apanage des mauvais lieux? Il exige<br />

en tout cas un minimum de dégueulasserie.<br />

On devrait s'en tenir à un seul i<strong>di</strong>ome, et en approfon<strong>di</strong>r la connaissance à chaque occasion. Pour<br />

un écrivain, bavarder avec une concierge est bien plus profitable que s'entretenir avec un savant<br />

dans une langue étrangère.<br />

*<br />

*<br />

*<br />

*<br />

*<br />

« ...le sentiment <strong>d'être</strong> tout et l'évidence de n'être rien ». Le hasard me fit tomber, dans ma<br />

jeunesse, sur ce bout de phrase. J'en fus bouleversé. Tout ce que je ressentais alors, et tout ce que je<br />

devais ressentir par la suite, se trouvait ramassé dans cette extraor<strong>di</strong>naire formule banale, synthèse<br />

de d<strong>il</strong>atation et d'échec, d'extase et d'impasse. Le plus souvent ce n'est pas d'un paradoxe, c'est d'un<br />

truisme que surgit une révélation.<br />

*<br />

84

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!