Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
Un peuple ne fait qu'une seule révolution. Les Allemands n'ont jamais réé<strong>di</strong>té l'exploit de la<br />
Réforme, ou plutôt <strong>il</strong>s l'ont réé<strong>di</strong>té sans l'égaler. La France est restée pour toujours tributaire de<br />
quatre-vingt-neuf. Également vraie pour la Russie et pour tous les pays, cette tendance à se plagier<br />
soi-même en matière de révolution, est tout ensemble rassurante et affligeante.<br />
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Les Romains de la décadence n'appréciaient que le repos grec (otium graecum), la chose qu'<strong>il</strong>s<br />
avaient méprisée le plus au temps de leur vigueur.<br />
L'analogie avec les nations civ<strong>il</strong>isées d'aujourd'hui est si flagrante, qu'<strong>il</strong> serait indécent<br />
d'y<br />
insister.<br />
Alaric <strong>di</strong>sait qu'un « démon » le poussait contre Rome.<br />
Toute civ<strong>il</strong>isation exténuée attend son barbare, et tout barbare attend son démon.<br />
L'Occident : une pourriture qui sent bon, un cadavre parfumé.<br />
Tous ces peuples étaient grands, parce qu'<strong>il</strong>s avaient de grands préjugés. Ils n'en ont plus. Sont-<strong>il</strong>s<br />
encore des nations? Tout au plus des foules désagrégées.<br />
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Les Blancs méritent de plus en plus le nom de pâles que leur donnaient les In<strong>di</strong>ens d'Amérique.<br />
En Europe, le bonheur finit à Vienne. Au-delà, malé<strong>di</strong>ction sur malé<strong>di</strong>ction, depuis toujours.<br />
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Les Romains, les Turcs et les Anglais ont pu fonder des empires durables parce que, réfractaires à<br />
toute doctrine, <strong>il</strong>s n'en ont imposé aucune aux nations assujetties. Jamais <strong>il</strong>s n'auraient réussi à<br />
exercer une si longue hégémonie s'<strong>il</strong>s avaient été affligés de quelque vice messianique. Oppresseurs<br />
inespérés, administrateurs et parasites, seigneurs sans convictions, <strong>il</strong>s avaient l'art de combiner<br />
autorité et in<strong>di</strong>fférence, rigueur et laisser-aller. C'est cet art, secret du vrai maître, qui manqua aux<br />
Espagnols ja<strong>di</strong>s, comme <strong>il</strong> devait manquer aux conquérants de notre temps.<br />
Tant qu'une nation conserve la conscience de sa supériorité, elle est féroce, et respectée; — dès<br />
qu'elle la perd, elle s'humanise, et ne compte plus.<br />
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Lorsque je fulmine contre l'époque, <strong>il</strong> me suffit, pour me rasséréner, de songer à ce qui arrivera, à<br />
la jalousie rétrospective de ceux qui nous suivront. Par certains côtés, nous appartenons à la vie<strong>il</strong>le<br />
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