Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"
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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />
Une émission sur les loups, avec des exemples de hurlement. Quel langage! Il n'en existe pas de<br />
plus déchirant. Jamais je ne l'oublierai, et <strong>il</strong> me suffira à l'avenir, dans des moments de trop grande<br />
solitude, de me le rappeler <strong>di</strong>stinctement, pour avoir le sentiment d'appartenir à une communauté.<br />
*<br />
A partir du moment où la défaite était en vue, Hitler ne parlait plus que de victoire. Il y croyait —<br />
<strong>il</strong> se comportait en tout cas comme s'<strong>il</strong> y croyait — et <strong>il</strong> resta jusqu'à la fin claquemuré dans son<br />
optimisme, dans sa foi. Tout s'effondrait autour de lui, chaque jour apportait un démenti à ses<br />
espérances mais, persistant à escompter l'impossible, s'aveuglant comme seuls les incurables savent<br />
le faire, <strong>il</strong> eut la force d'aller jusqu'au bout, d'inventer horreur après horreur, et de continuer au-delà<br />
de sa folie, au-delà même de sa desti<strong>né</strong>e. C'est ainsi qu'on peut <strong>di</strong>re de lui, de lui qui a tout raté, qu'<strong>il</strong><br />
s'est réalisé mieux qu'aucun autre mortel.<br />
*<br />
« Après moi le déluge » est la devise inavouée de tout un chacun : si nous admettons que d'autres<br />
nous survivent, c'est avec l'espoir qu'<strong>il</strong>s en seront punis.<br />
*<br />
Un zoologiste qui, en Afrique, a observé de près les gor<strong>il</strong>les, s'étonne de l'uniformité de leur vie<br />
et de leur grand désœuvrement. <strong>De</strong>s heures et des heures sans rien faire... Ils ne connaissent donc<br />
pas l'ennui?<br />
Cette question est bien d'un homme, d'un singe occupé. Loin de fuir la monotonie, les animaux la<br />
recherchent, et ce qu'<strong>il</strong>s redoutent le plus c'est de la voir cesser. Car elle ne cesse que pour être<br />
remplacée par la peur, cause de tout affairement.<br />
L'inaction est <strong>di</strong>vine. C'est pourtant contre elle que l'homme s'est insurgé. Lui seul, dans la<br />
nature, est incapable de supporter la monotonie, lui seul veut à tout prix que quelque chose arrive,<br />
n'importe quoi. Par là, <strong>il</strong> se montre in<strong>di</strong>gne de son ancêtre : le besoin de nouveauté est le fait d'un<br />
gor<strong>il</strong>le fourvoyé.<br />
Nous approchons de plus en plus de l'Irrespirable. Quand nous y serons parvenus, ce sera le<br />
grand Jour. Nous n'en sommes hélas! qu'à la ve<strong>il</strong>le.<br />
*<br />
*<br />
Une nation n'atteint à la prééminence et ne la conserve qu'aussi longtemps qu'elle accepte des<br />
conventions <strong>né</strong>cessairement ineptes, et qu'elle est inféodée à des préjugés, sans les prendre pour<br />
tels. Dès qu'elle les appelle par leur nom, tout est démasqué, tout est compromis.<br />
Vouloir dominer, jouer un rôle, faire la loi, ne va pas sans une forte dose de stupi<strong>di</strong>té : l'histoire,<br />
dans son essence, est stupide... Elle continue, elle avance, parce que les nations liquident leurs<br />
préjugés à tour de rôle. Si elles s'en débarrassaient en même temps, <strong>il</strong> n'y aurait plus qu'une<br />
bienheureuse désagrégation universelle.<br />
On ne peut pas vivre sans mob<strong>il</strong>es. Je n'ai plus de mob<strong>il</strong>es, et je vis.<br />
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*<br />
J'étais en parfaite santé, j'allais mieux que jamais. Tout à coup un froid me saisit pour lequel <strong>il</strong> me<br />
parut évident qu'<strong>il</strong> n'y avait pas de remède. Que m'arrivait-<strong>il</strong>? Ce n'était pourtant pas la première fois<br />
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