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Cioran De l'inconvénient d'être né - il portale di "rodoni.ch"

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<strong>De</strong> <strong>l'inconvénient</strong> <strong>d'être</strong> <strong>né</strong><br />

L'histoire, à proprement parler, ne se répète pas, mais, comme les <strong>il</strong>lusions dont l'homme est<br />

capable sont limitées en nombre, elles reviennent toujours sous un autre déguisement, donnant ainsi<br />

à une saloperie archidécrépite un air de nouveauté et un vernis tragique.<br />

*<br />

*<br />

Je lis des pages sur Jovinien, saint Bas<strong>il</strong>e et quelques autres. Le conflit, aux premiers siècles,<br />

entre l'orthodoxie et l'hérésie, ne paraît pas plus insensé que celui auquel nous ont accoutumés les<br />

idéologies modernes. Les modalités de la controverse, les passions en jeu, les folies et les ri<strong>di</strong>cules,<br />

sont quasi identiques. Dans les deux cas, tout tourne autour de l'irréel et de l'invérifiable, qui<br />

forment les assises mêmes des dogmes tant religieux que politiques. L'histoire ne serait tolérable<br />

que si on échappait et aux uns et aux autres. Il est vrai qu'elle cesserait alors, pour le plus grand bien<br />

de tous, de ceux qui la subissent, comme de ceux qui la font.<br />

Ce qui rend la destruction suspecte, c'est sa fac<strong>il</strong>ité. Le premier venu peut y exceller. Mais si<br />

détruire est aisé, se détruire l'est moins. Supériorité du déchu sur l'agitateur ou l'anarchiste.<br />

Si j'avais vécu aux commencements du christianisme, j'en aurais, je le crains, subi la séduction. Je<br />

hais ce sympathisant, ce fanatique hypothétique, je ne me pardonne pas ce ralliement d'<strong>il</strong> y a deux<br />

m<strong>il</strong>le ans...<br />

Tira<strong>il</strong>lé entre la violence et le désabusement, je me fais l'effet d'un terroriste qui, sorti avec l'idée<br />

de perpétrer quelque attentat, se serait arrêté en chemin pour consulter l'Ecclésiaste ou Epictète.<br />

L'homme, à en croire Hegel, ne sera tout à fait libre « qu'en s'entourant d'un monde entièrement<br />

crée par lui ».<br />

Mais c'est précisément ce qu'<strong>il</strong> a fait, et <strong>il</strong> n'a jamais été aussi enchaî<strong>né</strong>, aussi esclave que<br />

maintenant.<br />

La vie ne deviendrait supportable qu'au sein d'une humanité qui n'aurait plus aucune <strong>il</strong>lusion en<br />

réserve, d'une humanité complètement détrompée et ravie de l'être.<br />

Tout ce que j'ai pu sentir et penser se confond avec un exercice d'anti-utopie.<br />

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*<br />

L'homme ne durera pas. Guetté par l'épuisement, <strong>il</strong> devra payer pour sa carrière trop originale.<br />

Car <strong>il</strong> serait inconcevable et contre nature qu'<strong>il</strong> traînât longtemps et qu'<strong>il</strong> finît bien. Cette perspective<br />

est déprimante, donc vraisemblable.<br />

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