Maurice Maignen - Apôtre du monde ouvrier - par Richard Corbon s.v.
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Monsieur, qu'ap<strong>par</strong>tient l'honneur de régénérer cette noble création qui a été fondée pour ceux<br />
qui veulent apprendre et non pour ceux qui savent...Non, Monsieur, l'homme né peintre vaincra<br />
toutes les difficultés, tous les obstacles..."<br />
Ce ne sera que l'année suivante, en 1839, qu'il entrera à l'Ecole royale des Beaux-Arts<br />
de Paris, comme le rapporte son frère Louis: "...la saison d'été est la moins suivie <strong>par</strong> les élèves,<br />
c'est seulement alors que mon frère a pu faire des études plus sérieuses; enfin le moment<br />
venu de concourir il fait une figure toujours à un point de vue désavantageux puisqu'il n'occupe<br />
qu'une des dernières places, mais elle est si franchement et si naturellement copiée qu'il est<br />
admis d'emblée, chose rare; plus tard, son cousin, Jules Dauban, fut loin d'avoir un si prompt<br />
succès. Il fut donc admis le 9 octobre 1839 à suivre les leçons et concours de la section de<br />
peinture et sculpture". 19<br />
"Jusqu'à l'âge de trente ans", peut-on lire sur son document d'admission: hélas, il ne<br />
pourra guère en profiter. Quelques mois après, il lui faut ranger définitivement ses pinceaux,<br />
quitter sa blouse d'artiste pour revêtir celle de fonctionnaire.<br />
Au moment d’aborder une nouvelle étape de sa vie, le jeune <strong>Maurice</strong> <strong>Maignen</strong> nous a<br />
laissé son portrait à l’âge de dix-huit ans, dans son roman déjà mentionné, Les Sauveurs <strong>du</strong><br />
Peuple: "Lucien a le visage ovale, le teint <strong>par</strong>isien, c'est-à-dire ni rouge, ni pâle, le nez fin et<br />
la bouche moyenne. Mais l'œil est plus significatif que la formule ordinaire des signalements;<br />
il est grand, d'un bleu pâle, très ouvert; et comme sa tête se porte naturellement en arrière, les<br />
yeux se dirigent fréquemment en l'air, donnant un certain cachet d'idéal à l'ensemble de la<br />
figure encadrée de cheveux blonds cendrés, fort longs et presque flottants. La lèvre supérieure<br />
est estompée <strong>par</strong> un <strong>du</strong>vet naissant mais visible. Une certaine maigreur donne de la délicatesse<br />
à tous les traits, sans leur ôter la fermeté de contour qui sied bien à une tête de jeune homme.<br />
La tenue générale est négligée; la facture des vêtements, sans aucune élégance, décèle la<br />
pauvreté. Evidemment, la main d'une mère les a confectionnés ou retouchés. Ils imprimeraient<br />
au jeune Lucien une tournure ridicule, si, comme nous le disions, ses dix-huit ans, âge <strong>par</strong>fait<br />
de la désinvolture et de la grâce juvénile, ne venaient tout sauver. Voilà pour le physique;<br />
pour le moral, j'avoue mon embarras, je ne sais si vous êtes comme moi, mais en face d'une<br />
physionomie régulière, je ne puis m'empêcher de croire à une belle âme".<br />
Une belle âme, certes, mais <strong>Maurice</strong> n’est pas <strong>du</strong>pe: il connaît ses faiblesses, lui pauvre,<br />
artiste, et <strong>par</strong>isien. C’est bien de lui-même qu'il fait un portrait, digne, osons l'avancer, <strong>du</strong><br />
Balzac de La Fille aux yeux d’or: "...le Parisien, poursuit-il, sait tout, apprend tout, et ne <strong>par</strong>vient<br />
jamais à vivre de l’état qu’il a fait semblant d’apprendre. Tout Parisien devient artiste en<br />
se promenant à travers nos Musées. Il se croit également écrivain et penseur, à force de feuilleter<br />
sur les quais tous les livres qu’il connaît sans les avoir jamais lus. Il pousse comme cela,<br />
<strong>par</strong> les rues, et sur nos places, artiste et poète, sans avoir appris ni étudié; au besoin, philosophe,<br />
politique, conspirateur et barricadier, soldat d’un jour, brave et généreux jusqu’à la chevalerie,<br />
servile et poltron quand la bataille ne l’amuse plus. Il s’élève facilement à toutes les<br />
hauteurs à cause peut-être de sa proverbiale légèreté, sans savoir s’y tenir longtemps..."Et,<br />
précisant le trait, il se com<strong>par</strong>e à "l’<strong>ouvrier</strong> <strong>par</strong>isien, petit-fils de cet amusant Pierre Gringoire,<br />
l’imagier de la Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, ni poète, ni artiste, ni <strong>ouvrier</strong> tout à fait,<br />
un peu tout cela, disant naïvement de lui-même ce mot sublime qui est la clef <strong>du</strong> Parisien:<br />
pour tout, il m’a manqué quelque chose. Et vous comprenez maintenant le fort et le faible de<br />
notre héros, peintre, poète et Parisien".<br />
19 Portraits de famille, op.cit. t.II, p.154.<br />
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