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Du papyrus à l'hypertexte

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DU PAPYRUS À L’HYPERTEXTE<br />

105<br />

La notion de dialogue proposée par Gadamer se situe <strong>à</strong><br />

un niveau plus abstrait que chez Bakhtine. A la limite, le “ dialogue<br />

” dont il est question ici peut se passer entièrement dans<br />

l’esprit du lecteur, qui interrogera le texte lu en fonction de ses<br />

croyances et de ses connaissances antérieures. On est donc assez<br />

loin de la situation dialoguée propre <strong>à</strong> l’oral.<br />

Au XVIII e siècle, alors que, sous la poussée de l’imprimerie,<br />

le texte tendait <strong>à</strong> se dépouiller de la subjectivité de l’auteur et<br />

que s’achevait la réification du mot, on assiste en littérature <strong>à</strong> une<br />

tentative non seulement pour introduire la figure du lecteur dans<br />

le récit, mais aussi pour en faire une composante importante du<br />

jeu narratif. Les réussites les plus éclatantes <strong>à</strong> cet égard nous sont<br />

fournies par l’Anglais Sterne (Vies et opinions de Tristram Shandy)<br />

et le Français Diderot, qui ont poussé le procédé <strong>à</strong> la limite et<br />

en ont tiré des effets hilarants. À titre d’exemple, le narrateur de<br />

Jacques le Fataliste n’hésite pas <strong>à</strong> apostropher ainsi ses lecteurs<br />

dès l’ouverture du récit :<br />

Vous voyez, lecteurs, que je suis en beau chemin, et qu’il ne<br />

tiendrait qu’<strong>à</strong> moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois<br />

ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maî-<br />

tre et en leur faisant courir <strong>à</strong> chacun tous les hasards qu’il me<br />

plairait.<br />

Diderot se pose ici en maître du discours, jouant en virtuose<br />

avec son public comme pourrait le faire un conteur dans un<br />

salon. Il imagine aussi des questions qu’il rejette aussitôt comme<br />

non pertinentes (“ Comment s’appelaient-ils? ⎯ Que vous importe?<br />

”) et ironise avec le lecteur potentiel en le prenant <strong>à</strong> partie<br />

pour les interrogations mêmes qu’il pourrait se faire <strong>à</strong> part soi :<br />

Les voil<strong>à</strong> remontés sur leurs bêtes et poursuivant leur che-<br />

min. “ Et où allaient-ils? ” Voil<strong>à</strong> la seconde fois que vous me<br />

faites cette question, et la seconde fois que je vous réponds :<br />

“ Qu’est-ce que cela vous fait? ”

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