des tic et des territoires - Portail documentaire du ministère de l ...
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En voyageant, j’ai toujours été frappé par la<br />
façon dont notre perception <strong>de</strong> l’espace est<br />
médiatisée par la technique que l’on utilise pour s’y<br />
déplacer. Lorsque l’on traverse la France en TGV (ou<br />
la Suisse en Intercity), on regar<strong>de</strong> le paysage un peu<br />
comme une succession <strong>de</strong> séquences filmées, la<br />
fenêtre <strong>du</strong> train ressemble à une télévision un peu<br />
monotone qui nous montre le paysage, mais nous ne<br />
sommes pas dans le paysage : on ne sent pas les<br />
o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la terre, on ne sent pas la caresse <strong>du</strong> vent<br />
sur notre peau, on n’entend pas le bruit <strong><strong>de</strong>s</strong> insectes,<br />
bref, on y voit un pays « virtuel » qui s’offre à nous tel<br />
que la vitesse <strong>du</strong> train, ainsi que son tracé, nous<br />
perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> l’observer. On trouve également dans<br />
les écrit <strong><strong>de</strong>s</strong> aviateurs, comme Saint-Exupéry ou le<br />
sociologue Chombard <strong>de</strong> Lowe, <strong>de</strong> nombreux<br />
passages où ceux-ci s’étonnent eux-mêmes <strong>de</strong> la<br />
perception qu’ils ont <strong>du</strong> paysage vu d’en haut : une<br />
maison n’est plus une maison, un village n’est plus un<br />
village, une rivière n’est plus une rivière ; la maison<br />
paraît comme un mouton au loin, le village semble<br />
être une tache sur un tapis <strong>et</strong> la rivière <strong>de</strong>vient un<br />
point <strong>de</strong> repère indispensable à la navigation<br />
aérienne <strong>de</strong> l’époque.<br />
L’espace vécu, à notre échelle humaine, diffère<br />
donc selon la médiation technique que nous allons<br />
lui imposer ; chaque technique crée sa propre<br />
virtualité. Certes, la médiation technique n’est pas la<br />
seule variable déterminant les images mentales que<br />
l’on se crée <strong>du</strong> territoire. La pratique sociale que l’on<br />
en a en est une autre variable fondamentale, comme<br />
ten<strong>de</strong>nt à le démontrer les travaux <strong>de</strong> Kevin Lynch<br />
sur les cartes mentales <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces urbains. Les<br />
habitants d’un même immeuble peuvent avoir <strong>de</strong><br />
leur quartier <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur ville une vision diamétralement<br />
opposée selon l’usage qu’ils ont <strong>de</strong> leur<br />
immeuble, <strong>de</strong> leur quartier <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur ville.<br />
J’aimerais, dans c<strong>et</strong> exposé, soulever certains<br />
points qui me semblent cruciaux pour rendre<br />
compte <strong>de</strong> la façon dont les technologies <strong>de</strong> l’information<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication sont à même <strong>de</strong><br />
transformer, <strong>et</strong> notre perception <strong>du</strong> territoire, <strong>et</strong>,<br />
corrélativement, les pratiques que l’on peut en avoir.<br />
J’aimerais aussi essayer <strong>de</strong> montrer les limites dans<br />
lesquelles c<strong>et</strong>te médiation technique est opérante.<br />
Je commencerai par préciser certains aspects <strong>du</strong><br />
concept <strong>de</strong> virtualité, afin d’inscrire c<strong>et</strong>te problématique<br />
dans le champ <strong>de</strong> ce colloque. Puis je tenterai <strong>de</strong><br />
circonscrire la réalité spatio-temporelle <strong>du</strong><br />
cyberespace qui nous intéresse ici pour montrer en<br />
ESPACES VIRTUELS : LA FIN DU TERRITOIRE ?<br />
quoi <strong>et</strong> comment l’Intern<strong>et</strong> n’est pas « la fin <strong>du</strong><br />
territoire », <strong>et</strong> comment il peut être perçu comme un<br />
élément technique propre à renforcer les réseaux<br />
sociaux territoriaux locaux, plutôt que <strong>de</strong> les<br />
dissoudre dans un univers soit-disant « immatériel ».<br />
Enfin, je présenterai le concept <strong>de</strong> « glocalisation <strong>du</strong><br />
territoire » comme étant l’eff<strong>et</strong> escompté, à terme, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nouvelles technologies <strong>de</strong> l’information sur nos<br />
rapports au territoire.<br />
Le virtuel <strong>et</strong> le réel<br />
Dr Blaise GALLAND<br />
Sociologue, Ecole Polytechnique Fédérale <strong>de</strong> Lausanne<br />
Blaise.Galland@epfl.ch<br />
Le concept <strong>de</strong> « réalité virtuelle » est en soi<br />
paradoxal : comment une réalité pourrait-elle être<br />
une non-réalité ? Comment une chose peut-elle être<br />
à la fois elle-même <strong>et</strong> son contraire ? La contradiction<br />
dans ce vocable nous ramène immanquablement au<br />
plus profond d’une interrogation propre aux êtres<br />
humains <strong>de</strong> toutes les cultures <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>puis la<br />
plus haute Antiquité : celle <strong>de</strong> savoir ce qu’est le réel,<br />
ce qu’est la réalité, par rapport au rêve <strong>et</strong> à l’imaginaire.<br />
C’est là que rési<strong>de</strong> certainement le point <strong>de</strong><br />
départ <strong>de</strong> toute réflexion sur la connaissance. Car<br />
toute expérience humaine est immanquablement<br />
relative (je pense ici à ce célèbre passage <strong>de</strong> Chuang<br />
Chou qui avait rêvé qu’il était un papillon : il ne savait<br />
plus très bien s’il était Chou rêvant d’être un papillon<br />
ou un papillon en train <strong>de</strong> rêver d’être Chou).<br />
Certains disent qu’avec les technologies <strong>de</strong><br />
l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication, on risque <strong>de</strong><br />
« confondre le virtuel <strong>et</strong> le réel ». Lorsque Jaron<br />
Lanier a médiatisé la « R.V. », on disait volontiers<br />
d’elle qu’elle était une forme <strong>de</strong> « L.S.D. électronique<br />
», avec l’avantage qu’en cas <strong>de</strong> mauvais voyage,<br />
il suffisait <strong>de</strong> couper le courant pour rétablir l’ordre.<br />
Avant <strong>de</strong> savoir si le risque <strong>de</strong> « confusion entre<br />
réalité <strong>et</strong> virtualité » a une quelconque consistance, il<br />
est intéressant <strong>de</strong> s’interroger sur l’histoire <strong>de</strong> ce<br />
concept.<br />
L’histoire <strong>du</strong> vocable « virtuel » est tributaire <strong>de</strong><br />
l’usage social qui en est fait. Le terme « virtuel » fait<br />
référence, dans le latin scolastique (1503), à ce qui<br />
n’existe qu’en puissance <strong>et</strong> non en actes ; il dérive <strong>du</strong><br />
latin virtus qui signifie tant la vertu que la force ou la<br />
puissance. Une graine est virtuellement une plante,<br />
mais elle n’est pas la plante, elle n’en est que son<br />
potentiel. Leibniz écrivait dans ses Nouveaux Essais<br />
que « toute l’arithmétique <strong>et</strong> toute la géométrie sont<br />
innées <strong>et</strong> sont en nous <strong>de</strong> manière virtuelle… ». À la<br />
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