des tic et des territoires - Portail documentaire du ministère de l ...
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psychologiques problématiques : il faut être fou<br />
pour croire vraiment à la réalité <strong>de</strong> ce que l’on vit<br />
lorsqu’on est harnaché à la panoplie <strong>de</strong> tout l’attirail<br />
technique <strong>de</strong> la RV. Si « virtuel » est pris dans son<br />
sens scolastique, le risque <strong>de</strong> confondre le réel <strong>et</strong> le<br />
virtuel est banal <strong>et</strong> permanent, <strong>et</strong> il s’exprime à<br />
travers <strong>de</strong> vieux adages tels que « Ne pas vendre la<br />
peau <strong>de</strong> l’ours avant <strong>de</strong> l’avoir tué » ou « Prendre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
vessies pour <strong><strong>de</strong>s</strong> lanternes ».<br />
Lorsque l’on dit <strong>du</strong> cyberespace qu’il est un<br />
« espace virtuel », il conviendrait peut-être mieux <strong>de</strong><br />
dire, comme son nom l’indique, qu’il n’est qu’un<br />
espace artificiel dont nous allons voir maintenant ce<br />
qui fait sa puissance <strong>de</strong> création.<br />
Le temps <strong>et</strong> l’espace électroniques<br />
On entend <strong>et</strong> on lit souvent que les NTIC<br />
« abolissent l’espace <strong>et</strong> le temps » <strong>et</strong> nous « plongent »<br />
ainsi dans une « société dématérialisée ». Joël <strong>de</strong><br />
Rosnay, par exemple, écrit dans L’homme symbiotique<br />
: « L’autoroute en béton <strong>et</strong> l’automobile étaient<br />
les symboles <strong>de</strong> la révolution in<strong>du</strong>strielle. Dans leur<br />
prolongement, l’autoroute électronique <strong>et</strong> l’ordinateur<br />
personnel sont les symboles <strong>de</strong> la société<br />
dématérialisée issue <strong>de</strong> la révolution informatique.<br />
Alors que l’autoroute <strong>et</strong> l’automobile sont les espaces<br />
<strong>de</strong> transition pour se rendre d’un point à l’autre, les<br />
inforoutes <strong>et</strong> les ordinateurs personnels abolissent le<br />
temps <strong>et</strong> l’espace ».<br />
La formule est magique <strong>et</strong> troublante, elle peut<br />
nous faire rêver, mais on peut dire aujourd’hui<br />
qu’elle est abusive dans l’amalgame qu’elle fait <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux réalités bien distinctes.<br />
Nous <strong>de</strong>vons en eff<strong>et</strong> distinguer <strong>de</strong> quel espace<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> quel temps on parle, parce que le temps <strong>et</strong><br />
l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> bits ne sont pas les mêmes que ceux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
atomes, pour reprendre la distinction <strong>de</strong><br />
N. Negroponte. Dans le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes, qui<br />
contient celui <strong>du</strong> Bios, la vitesse est encore soumise à<br />
la gravitation terrestre <strong>et</strong> à la pression <strong>de</strong> l’air : il y<br />
existe encore un temps <strong>de</strong> la distance (Paris-New York<br />
= 3 heures en Concor<strong>de</strong>) parce qu’on ne peut pas<br />
dématérialiser notre corps à Paris pour le rematérialiser<br />
quelques millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong> plus tard à New York.<br />
Dans le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bits, qui sont eux les seuls obj<strong>et</strong>s<br />
physiques que les systèmes d’information<br />
transportent réellement, la vitesse <strong>de</strong> référence est<br />
celle <strong>de</strong> la lumière ; les bits se déplacent, en<br />
conditions idéales, à 299 792 km par secon<strong>de</strong> dans<br />
l’espace électrique <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong><strong>de</strong>s</strong> hertziennes, <strong><strong>de</strong>s</strong> câbles<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> microprocesseurs qui forment le Cyberespace.<br />
À notre échelle humaine <strong>et</strong> planétaire, la vitesse<br />
<strong>de</strong> la lumière nous paraît « instantanée ». Aussi<br />
sommes-nous enclins à penser que c<strong>et</strong>te relative<br />
instantanéité gomme en quelque sorte la réalité <strong>de</strong><br />
Espaces virtuels : la fin <strong>du</strong> territoire ?<br />
l’espace physique <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>et</strong> pulvérise la<br />
contrainte immémoriale <strong>de</strong> l’espace.<br />
Ceci est relativement vrai pour le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bits<br />
(relativement parce qu’il y a toujours le temps <strong>de</strong> la<br />
lumière, qui n’est pas instantané), <strong>et</strong> relativement<br />
faux pour le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> humains, qui sont faits, eux,<br />
d’atomes. Relativement faux pour les humains, parce<br />
qu’un nombre <strong>de</strong> plus en plus grand d’entre eux<br />
travaillent quotidiennement dans un espace artificiel<br />
défini par la vitesse <strong>de</strong> la lumière (ne serait-ce que<br />
celui <strong>de</strong> leur PC). Pour ceux-là, qui entr<strong>et</strong>iennent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
rapports avec <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> choses à travers le<br />
Cyberespace, leur activité est effectivement délocalisée,<br />
mais leur activité « professionnelle »<br />
seulement : pour tout le reste, ils ont les pieds sur<br />
terre, ils sont « scotchés » en un point précis <strong>de</strong> la<br />
planète, par la bonne vieille loi <strong>de</strong> la gravité.<br />
Une publicité <strong>de</strong> AT&T montrait un Boeing 747<br />
sur un fond d’océean <strong>et</strong> disait : « Un 747 le traverse<br />
[l’océan] en six heures, le Concor<strong>de</strong> le fait en trois.<br />
Avec une standardiste c’est possible en quelques<br />
secon<strong><strong>de</strong>s</strong> ; sans elle, c’est instantané ». C<strong>et</strong>te publicité<br />
nous trompe par un double mensonge. En premier<br />
lieu, le temps <strong>de</strong> transmission <strong><strong>de</strong>s</strong> bits n’est pas<br />
« instantané », mais égal à celui <strong>de</strong> la lumière.<br />
Ensuite, la première proposition parle <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
atomes, <strong>et</strong> la <strong>de</strong>uxième <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> bits, en faisant<br />
croire que ces mon<strong><strong>de</strong>s</strong> sont i<strong>de</strong>ntiques. En plus, on<br />
ne sait pas dans c<strong>et</strong>te histoire ce qu’il advient <strong>de</strong> la<br />
standardiste… Vraisemblablement c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière est<br />
restée à Paris ou à New York.<br />
La peur <strong>de</strong> Virilio quant à un hypothétique<br />
« acci<strong>de</strong>nt temporel » vient <strong>du</strong> fait qu’il semble<br />
penser (exactement comme Joël <strong>de</strong> Rosnay <strong>du</strong> reste)<br />
que toute l’activité humaine sera bientôt déterminée<br />
par le temps mondial <strong>de</strong> la vitesse <strong>de</strong> la lumière (le<br />
temps <strong>du</strong> Cyberespace) qui « pollue la distance », <strong>et</strong><br />
que « ce temps réel va l’emporter sur l’espace réel ».<br />
On doit éviter, dans l’euphorie <strong>de</strong> la technicité,<br />
d’opérer un déni <strong>du</strong> temps <strong>du</strong> corps humain, celui <strong>de</strong><br />
la standardiste par exemple qui doit manger, dormir,<br />
s’abriter <strong><strong>de</strong>s</strong> intempéries, se repro<strong>du</strong>ire, <strong>et</strong>c. Toutes<br />
ces choses, on ne peut pas les faire dans le<br />
Cyberespace, par contre on doit les faire dans l’espace<br />
réel, local <strong>et</strong> géographique. Ceci pour <strong><strong>de</strong>s</strong> questions<br />
<strong>de</strong> survie biologique que les ordinateurs ne peuvent<br />
résoudre.<br />
Les frontières <strong>du</strong> temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’espace sont<br />
effectivement pulvérisées (au niveau planétaire)<br />
pour tout ce qui peut être digitalisé, transformé en<br />
bits, mais notre corps a <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons qui sont<br />
inscrites, pour longtemps encore, dans un temps <strong>et</strong><br />
un espace qui n’est pas celui <strong>de</strong> l’électricité ; ils ne<br />
sont pas électroniques, ils sont anthropologiques.<br />
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