Le royaume d’Icare

— Sauf votre respect m’sieux, les syndicats c’est seulement
plus d’pauvres qui quêtent en même temps. Mon beau-frère
fait du taxi. Eux nous ont fait plus d’tort encore.
— Il va en circuler de plus en plus, Charles.
— C’est l’avenir, pour sûr. Avec l’exposition. Mais vous
étiez peut-être même pas né, vous.
— J’avais deux ans.
— Tout comme. J’vous raconte. Ils ont construit l’métro
et l’funiculaire qui monte à Montmartre. Deux ans après, y
zont installé des escaliers mobiles dans l’métro.
— Vous avez bonne mémoire, Charles.
— Ça c’est la famille, m’sieux. Ma femme était grosse de
Robert et allait chez sa sœur en métro. Elle aimait bien parce
qu’à la station, elle n’avait pas à s’taper l’escalier. Un bébé de
quatre kilos. Ensuite, la ville a goudronné les grandes rues et
les places. Quand le p’tit est mort, le curé a dû changer d’trajet
pour aller au cimetière, à cause des travaux. Robert avait
deux ans. À l’automne 1904 pour sûr.
— De quoi est-il mort
— Les poumons. Il faut s’y attendre dans les grosses familles.
Les autres ont survécu.
— Combien d’enfants avez-vous
— Sept de vivants. L’plus vieux est mort à Verdun. La
grippe ne m’en a pas pris un.
— Les taxis et le métro vous ont volé une large part de
votre clientèle.
— Les bus aussi. Les jeunes touristes trouvent ça sympa
pour visiter. Ça date pas d’hier.
— Non
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