Le royaume d’Icare

le nécessaire l’attend à chaque port. Les enfants de Moïse sont
sans terre, psalmodie un rabbin dans sa tête. Satisfait, Hackerman
sort au balcon contempler le boulevard, une rivière
de lumières qui scintillent dans la nuit. Il doit contacter un
financier belge au cercle de Paris. Joseph. Il en a presque oublié
le tournoi. Sept ans déjà. Un grand hommage qu’on l’ait
invité. À l’évidence, Hackerman ne fait plus le poids et il le
sait. Si Kolarov et Boey sont à la mesure du jeune Nilsson et
de Cappello, la vieille garde court au massacre. Chacun son
tour.
Samuel Hackerman va entrer dans le plus fort tournoi jamais
organisé sans aucune préparation, pour le simple plaisir
de la chose, joie qu’on lui a retirée dès l’âge de cinq ans. Il
n’a rien à prouver, rien à investir, plus rien à perdre et tout à
gagner. Quelque chose au fond de lui s’agite, monte puis se
condense en une larme avant de se mettre au pas. Pour lui, ce
sera plus délicat.
— Imagine devant toi une série de tableaux, suggère le
champion dans le brouhaha des conversations et le cliquetis
des ustensiles.
Ils dînent dans un restaurant français de New York. Feuerbach
vient de vaincre Frank Reeves une quatrième fois malgré
la résistance épique du Bostonnais. Le combat est terminé.
La suite du match est une question de protocole pour
faire rêver encore un peu les goyim américains. Feuerbach
le sait, Hackerman le sait, Kevits le sait et Reeves le sait. Joseph
pointe la clientèle et les serveurs qui trottinent entre la
cuisine et les tables. Amusé, Hackerman répond :
«
— Un écran de film comme l’ont conçu les frères Lumière.
— Tout-à-fait, Samuel. Une succession d’états qui composent
un mouvement continu.
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