Le royaume d’Icare

des trois destinations par lesquelles elle a rebondi. On l’invite
dans la section réserve d’un prestigieux tournoi, tenu à
Londres, qui célébrera le début du vingtième siècle. Il y rencontre
Joseph Feuerbach, un homme simple. Le champion
demeure étonné des positions qu’obtient le jeune homme
dans la section « réserve ». Quelques marches dans la nuit
froide les lient d’une amitié que le temps solidifiera. Bjelica
récolte douze victoires et trois nulles, soit treize points et
demi sur les quinze possibles.
— Vous étiez dans la mauvaise section, conclut Feuerbach,
tout sourire.
Il lui propose de voyager en sa compagnie et celle d’un
jeune maître autrichien au retour mais Ekenstein décline.
Une dame d’Édimbourg va l’héberger. Là-bas un mécène veut
organiser un tournoi. Une décision malheureuse. Ekenstein
n’a pas dix-sept ans, ne parle pas anglais et n’a d’autre intérêt
et revenu que le jeu. Il épuise rapidement les ressources locales
en joueurs et l’intérêt du mécène n’est qu’homosexuel.
Il finit par ennuyer son hôtesse. Ses traits, sa jeunesse et son
gabarit apprivoisés, il n’est qu’un joueur d’échecs nécessiteux
et ennuyant. Obligé à de courts séjours à Londres, Bjelica
s’en retourne six mois plus tard. Au moins se débrouillet-il
en anglais maintenant. Partagé entre la passion du jeu et
le besoin d’argent, il vagabonde par tout l’Europe.
À son arrivée à Ostende en mai 1907, à vingt-trois ans, il
a écumé sept années durant des tournois locaux, battant à
l’occasion un maître qui se pointait. Sa renommée grandit à
la mesure de son expérience. Il tombe nez à nez avec Joseph
Feuerbach, attablé à une table du Cavalier brabant, un café
où Bjelica entend monnayer son talent. En guise de préparation
à son match contre Itchkoff, le champion participe
à une grande compétition que la ville espère établir en tradition
annuelle. Ekenstein était au courant de la tenue d’un
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