Le royaume d’Icare

Des passagers s’esclaffent d’un commentaire en allemand.
L’ambiance à bord est si chaleureuse. Les voyageurs
s’amusent, les conversations sont agréables. Il y a toujours
quelqu’un pour traduire en français ou en anglais. Une fois en
mer, est revenue rapidement à Jill l’atmosphère des salons
que fréquentait sa mère, jeune célibataire. Ses escapades
devenaient si romantiques quand elle racontait jusque tard
le soir. Mary Lou vivait différemment de l’idée que s’en faisait
son entourage. Les sentiments et les élans de son cœur
étaient authentiques. Jill l’a compris en mûrissant. Sa mère
était tout simplement plus personnelle dans sa quête de bonheur
que l’époque ne le permettait à une jeune femme seule.
Frank lève des yeux malicieux vers elle. Jill lui tire vivement
un bout de langue épicé d’un bref mouvement de
hanche. Il la regarde au fond des yeux et retourne à sa lecture.
De dormir ensemble dans une cabine a rappelé leur
voyage de noces. Frank est devenu fringant.
Mère et fille restaient souvent seules, son père étant souvent
appelé d’urgence. Mary Lou ne voulait pas d’un autre
enfant, l’accouchement avait failli la tuer. De se retrouvée
seule ne semblait pas effrayer sa mère, au contraire.
Des années durant, jeune enfant, Mary Lou avait vu des
soldats impressionnants venir prendre pelles, marteaux et
autres outils à la fabrique de son père dans la banlieue peu
développée du su de Pittsburgh, sur la route des mines et de
la Virginie.
Afin d’aider leurs parents, les quatre frères aînés de Mary-
Lou travaillent tour à tour à l’atelier. Deux de ses trois s’enrôlent
à la guerre de Sécession; aucun n’en revient. L’autre
part pour le Dakota du sud où il y a de l’or en quantité selon
les dires d’un certain Cluster, général de l’armée. Âgés, les
parents de Mary Lou décident de vendre l’entreprise deve-
«
39