Le royaume d’Icare

— Ce n’est rien. Mais ne le dites à personne, se rappelle à
l’ordre l’Anglais. Je négocie avec parcimonie l’exposition de
mon talent quand je deviens une bête de cirque. Vingt est un
nombre confortable.
— Confortable… Vous pourriez faire mieux
— Beaucoup mieux. Quarante, cinquante peut-être.
Trente sans problème.
Cigare en main, Joseph le regarde, bouche bée. John affiche
un mince sourire gêné et hausse les épaules, une mèche
entre les yeux :
— Ça n’a rien d’extraordinaire. Si vous pouvez en jouer
deux, vous pouvez en jouer dix, c’est une question de technique
de mémoire. Ce n’est pas plus surprenant que ne l’est
une partie jouée en blitz aux yeux d’un novice qui voit les
pièces bouger à toute vitesse.
— Tout paraît facile à qui possède un don, John.
— Peut-être, admet l’autre, que l’éventualité semble embêter.
Vous vouliez dire quelque chose à propos de vos études
tantôt.
— Mes fugues.
Le champion se rassoit confortablement et dépose son cigare.
— Le soir, quand je montais me coucher, j’attendais que
mes parents me croient endormi pour m’enfuir par la fenêtre.
Une branche du chêne de la cour passait devant ma
chambre. J’y attachais une corde. Il me suffisait de remonter
par le même chemin et de dénouer mon échelle improvisée.
Ni vu ni connu. Père ne s’est jamais douté de rien. Sauf que je
dormais peu.
— Où jouiez-vous
202