Le royaume d’Icare

de quinze ans, il gagne l’année suivante le championnat de
l’institution, titre qu’il conservera jusqu’à son départ. À la
gare, les adieux venus, dans la cohue créée par la révolution
communiste, le vieux Petrov, fondateur de L’académie
échiquéenne de Saint-Pétersbourg, alors la seule école
d’échecs au monde, lui offre d’une voix chancelante son jeu
personnel, usé par sa science et ses batailles. Une authentique
relique.
— Il recèle encore quelque magie. Vous ferez mieux que
moi avec ces pièces, j’en suis certain, lui confie son professeur,
un doigt posé sur le coffret, les yeux levés vers Frédéric,
qui le dépasse d’une demi-tête, Visez le sommet. N’oubliez
jamais qu’il faut travailler fort pour l’atteindre. Il est plus
élevé qu’il n’y paraît d’en bas et on y parvient toujours seul.
Rappelez-vous, jeune homme, il vous faudra apprendre à
vivre seul afin de triompher.
Prête hier à l’accueillir dans ses rangs, l’aristocratie lui
conseille aujourd’hui de suivre le prolétariat au combat.
Kolarov est affecté à un hôpital militaire où s’empilent des
milliers de blessés. Il y sera en sécurité. Officiellement aideinfirmier,
il distrait les gradés, plus à même d’apprécier ses
talents échiquéens. Loin d’être ébranlé par les horreurs de
la guerre, Kolarov se consacre aux échecs dès qu’il est libéré
de ses tâches quotidiennes : laver des plaies, faire des pansements,
vider des seaux d’excréments
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ou remplir des pots d’eau fraîche.
Sorti de l’ombre de ses maîtres, il
développe ses idées personnelles.
À titre de défi à ses adversaires, il
ouvre de ses cavaliers et place ses
fous en fianchetto, d’où ils opèrent
en tireurs embusqués. Frédéric refuse
tout simplement d’occuper le
centre du terrain. Réfuter ces sorties
non orthodoxes est un art rafa
b c d e f g h
Fous roi en fianchetto :
1.g3 g6 2. Fg2 Fg7
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