Le royaume d’Icare

Dans la grande Amérique solitaire aussi le cinéma fait fureur,
Hackerman le sait. Plus de deux cent mille projecteurs
étaient en activité au début de la guerre, précise-t-il au Français.
Un membre du cercle de Chicago ne jure que par l’industrie
cinématographique. Il veut s’établir en Californie, à
cause du temps sec et de la lumière naturelle.
Au troisième étage, Monsieur Samuel se rend au bout du
corridor où, d’une clef sortie de sa poche pantalon, il déverrouille
une porte sans numéro. Si le génie de la lampe eut accordé
à Sam un seul souhait, c’eût été de pouvoir conserver
en mémoire les vœux des autres. Né à Chicago onze ans après
la fin de la guerre fratricide, le jeune Hackerman s’avère être
un enfant surdoué. Dès l’âge de quatre ans et demi, il joue
aux échecs avec les adultes. Loin d’être offusqués d’avoir à
perdre contre cet bambin grassouillet, les amoureux du jeu
le prennent en charge. Leur éducation ne traîne pas. Soufflant
les bougies de ses onze ans, Samuel jure de ne plus jamais
perdre une partie d’échecs. En ce qui concerne Chicago
et la région des Grands Lacs, cette promesse tient toujours.
Dans son fief, il a en poche une nulle et un gain contre Feuerbach.
Exhibé en foire comme curiosité, le jeune Hackerman
devient officieusement champion de l’Illinois à l’âge de seize
ans. Samuel est âgé de dix-huit ans quand Eising cède le titre
à Feuerbach après avoir régné une vingtaine d’années. Il est
à New York pour la première portion du match. Présenté
au futur champion, non seulement Feuerbach semble le
connaître, mais il le complimente pour une de ses parties, sa
plus belle en fait. « Le championnat reste entre nous, tu es le
suivant », le rassure-t-on d’une tape sur l’épaule. Fidèle observateur
des analyses post mortem des parties entre Eising
et Feuerbach, le jeune homme comprend alors la distance
qui le sépare du sommet. Il lui faudrait compétitionner en
Europe L’Amérique, le Midwest plus encore, vit en retrait du
monde civilisé.
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