Le royaume d’Icare

pommes d’Ève. Devenus péché, leurs fruits se monnaieront au
poids métallique d’une sueur pillée.
Jonathan est né à Copenhague, où sa mère a accueilli dans
sa couche des artistes de passage voulant goûter la douceur
de sa fleur. Une rose qui jusqu’au cœur de son ventre savait la
Lune puiser éclat et chaleur d’un Soleil amoureux. Jonathan
est le fruit d’un de ses amants. Ils seront deux par nécessité.
L’autre enchaînera l’une, se croyant Elle, alors que son ventre
est à toujours stérile. Il se croira lignée mais ne sera que dispersion.
Grâce Boey son nom de poétesse, le seul que lui connût
son fils s’est inclinée sous la faux de la syphilis à trente-trois
ans, après une vie sans le moindre manquement à l’amour.
Jonathan allait sur ses douze ans. Une messie dont il peut
témoigner du chemin de croix. Une messie qu’il veut révéler
aux prêtresses de la vie.
Le « poème vivant » que Grâce a conçu est devenu un théologien
qui vivote en récoltant des bourses en tournoi et en
donnant des cours d’échecs à des fils de riches familles quand
il tolère d’être sédentaire pour un temps. Boey finance ses
voyages à l’aide de rares conférences universitaires et à l’invitation
de sectes naturalistes et spiritualistes. La philosophie
indienne se répand en Europe, saupoudrant d’un mystère
karmique qu’une âme chrétienne moralement abandonnée
par un Occident occupé à jouir de sa richesse. Au nom de la
Mère, son livre, a excité les cercles ésotériques anti papistes
des pays nordiques par son originalité et sa profondeur apocalyptique.
Le Hollandais est lu et commenté aussi bien en
Allemagne qu’en France. Boey a assuré lui-même ces traductions.
Jonathan a le don des langues et ne l’a pas dans sa
poche. D’habitude du moins.
Tandis qu’il vérifie l’heure du départ, une jeune dame,
française de poitrine et de démarche, lui allonge un regard.
De longues cuisses minces que dévoile en coup de vent le dieu
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