Le royaume d’Icare

— Plus ces engins sont rapides plus ils sont bruyants, remarque
Bjelica en montant. Plus on pressé, plus on dérange.
Le commentaire place un sourire rêveur sur le visage de
Joseph. Confortablement assis, les deux hommes s’attardent
au paysage qui défile. L’étrange impression de vitesse
sans celle de bouger captive le Polonais. La verdure du manoir
le rappelle à son petit village, sis à une quarantaine de
kilomètres à l’ouest de Brest-Litovsk, sur la rive nord d’un
affluent de la Vistule, au sud de la grande route qui mène à
Varsovie. Le village est posé sur une colline d’où l’on survole
les alentours. La colline et la rivière, si invitantes pour les
premiers villageois qui s’y établirent, se transformeront en
malédiction durant la guerre.
Les convois russes sont arrivés durant la nuit sans aucune
discrétion. Certains vivres sont confisqués, d’autres emmagasinés
dans une réserve protégée, construite à la hâte hors
du village. Chacun apprend de l’autre qu’il y a la guerre. Des
postes de garde sont éparpillés sur les routes, le pont est mis
sous surveillance. Les soldats installent même un bureau de
recrutement avec l’emblème du tsar au-dessus de la porte.
Ekenstein glane des informations à l’auberge le soir devant
l’échiquier, dans la fumée de cigarette, les relents d’alcool et
les jurons russes. Les officiers y ont établi leur quartier général.
Bjelica en profite pour obtenir des médicaments, rapporter
des cas de brutalité et régler avec douceur et patience
d’autres urgences dont Karmina allonge la liste à chaque
jour. Il connaît bien les Russes.
Au départ, le conflit opposait l’impériale Autriche-Hongrie
à la Serbie. Les Autrichiens craignaient que ce petit pays
ne devienne redoutable maintenant qu’il disposait d’une armée
entraînée. Des patriotes serbes auraient assassiné l’archiduc.
L’Allemagne soutient l’Autriche-Hongrie, son seul
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