Le royaume d’Icare

tension s’apaise en lui. Le maître Schelling sourcille et prend
possession du centre à coup de pions, en conquérant qui va
refouler les prétentions de l’inculte indigène. Le tic-tic des
horloges, les raclements de gorges et les murmures se font
rares. Les heures passent, les tables se vident. Au premier
échiquier, un jeune Suédois qui terminera cinquième a tenu
plus de cinquante coups avec les noirs avant d’abandonner
contre Meyer. Quand la poussière retombe et que quelques
pions et figures sont disparus de l’échiquier, le fou dame de
Boey devient intraitable pour les fantassins du roi adverse,
scindant l’échiquier en deux. Schelling doit passer en finale
et s’incline après cinq heures et demie de jeu après avoir
perdu un second pion. Jonathan termine troisième derrière
Meyer et Taubenhaus, dont ce sera le dernier tournoi. Plus
ils se moquent de ses manœuvres, confiera plus tard Boey
à un journaliste, moins ses adversaires cherchent à comprendre
sa stratégie. Voilà pourquoi il gagne.
Du moins quand l’alcool ne vient pas trop embrouiller sa
vision. Dehors l’air est devenue humide. D’une voix de ténor,
une âme sans émotion annonce le départ du train pour Paris.
Une marche à petits pas dans la cacophonie des inquiétudes :
— Tu crois qu’il restera de bonnes places
— Les éclairs, c’est dangereux en train, paraît-il.
— J’espère que les cabinets seront propres. La dernière
fois …
On vit comme on guerroie, pour de meilleures places.
Ils travailleront le sol à même leur avidité, arrachant des entrailles
de la terre la lourde détermination du métal pour la retourner
contre leurs frères, idolâtrant le pouvoir de détruire la
vie. La Grande Guerre en avait été une de tranchées, chaque
camp creusant ses acquis. Et la bête survolera ces cimetières
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