LES ACTEURS__PORTRAITAntoine Duhamel,compositeurarticle paru dans <strong>Projections</strong> n°3_musique et cinéma_janvier 2003Si à l’âge de 77 ans, AntoineDuhamel, musicien et compositeur,n’a pas cessé depuis 1961d’écrire de merveilleuses partitionstant pour l’opéra, le théâtre que lecinéma, c’est parce qu’un mot d’ordrerégit sa vie et son oeuvre : l’effervescence.Avec son ami de toujours,Jean-Daniel Pollet, auteurmalheureusement peu connu dufilm Méditerranée, il a très vite étéprojeté dans l’univers cinématographiquede la nouvelle vague,l’époque de Godard, Rohmer,Rivette et Barbet-Schroeder. À partirde 1962, il étend son activité à latélévision auprès de Claude Barmapour Le Chevalier de Maison Rougeet bien entendu Belphégor dont lamusique a fait frémir toute unegénération. En 1965, avec Pierrot lefou de Godard, c’est la consécration: “Ce film était un peu l’aboutissementde mes espoirs, ce que jerêvais de faire. J’étais fasciné par cecinéma, par la démarche particulièrede Godard”.Véritable cinéphile, il poursuitnéanmoins son œuvre musicalesous différentes formes, notammentl’opéra pour lequel il compose quatre œuvres majeuresdans les années 70 : Lundi, Monsieur, vous serez riche (texte deRémo Forlani), L’Opéra des oiseaux adapté d’Aristophane,Gambara d’après une nouvelle de Balzac et Ubu à l’Opéra, présentéà Avignon. Gagné par le besoin de transmettre, il créeen 1980 son école de musique à Villeurbanne aux côtés de sonépouse, Elisabeth. “Je pense que la pédagogie musicale est detrès grande importance pour un compositeur, non pas commegagne-pain, mais comme mission”. Cette structure, devenueécole nationale en 1986, est aujourd’hui encore, selon lavolonté d’Antoine Duhamel, un lieu ouvert à toutes sortes dedisciplines musicales qui ne trouvent pas leur place au conservatoirecomme le jazz, le rock, la chanson ou encore la musiquetraditionnelle.Elu pour sept ans au conseil d’administration de la SACEM(Société des Auteurs Compositeurs Éditeurs de Musique) etmembre du SNAC (Syndicat National des Auteurs etCompositeurs), il accomplit son devoir de transmission et sesent alors libre de renouer avec son premier amour : lecinéma.En 1985, il compose avec son ami Pierre Jansen la Suite symphoniquepour Intolérance, accompagnant le film de D.W.Griffith. C’est vers cette époque, en 1983, qu’il avait abordé lecinéma muet avec le film de Marcel L’Herbier, L’Homme dularge, dont il a remanié en 2001 la musique pour la versionrestaurée (film diffusé sur Arte le 20 décembre 2002). Portépar une haute exigence artistique, il a réalisé pour cette œuvreun travail d’orfèvre, parfaitement interprété par le jeune chefd’orchestre vénitien Léonardo Gasparini. “Sur un film muet,j’aime bien qu’il y ait une masse sonore importante qui joueun peu la fonction du chœur antique. Il est nécessaire que lamusique existe, qu’elle ne soit pas qu’un accompagnement et,bien entendu, qu’elle soit en osmose avec le film et non enopposition. C’est un ravissement quand elle parvient à ce rôlede communication, à expliciter les paroles que l’on n’entendpas et le sens du film.”Antoine Duhamel a obtenu cette année, à Berlin, l’Ours d’argentde la meilleure musique de film pour Laissez-passer deBertrand Tavernier, consécration légitime d’un grand compositeursouvent nominé mais encore jamais récompensé parles jurys français. Les grands hommes méritent une reconnaissanceet sur un autre registre, c’est pour cette raison quele compositeur préside, en hommage à son père, l’écrivain,l’association des amis de Georges Duhamel.ANGÉLIQUE LAGARDEActualité courant 2003 :Sortie en France de El Embrujero de Shangaï, adaptation du livre Le sortilège de Shanghai, réalisée par le metteur en scène espagnol FernandoTrueba avec lequel Antoine Duhamel signe sa quatrième collaboration.Le 1er février, 5 sens et non sens, fête musicale donnée à l’école musicale de Persan.En projet : exécution avec l’Orchestre Pasdeloup de L’homme du large de Marcel Lherbier (septembre)110 / projections actions cinéma / audiovisuel
LES ACTEURS__PORTRAITDans le vif du sujetCécile Decugis, monteusearticle paru dans <strong>Projections</strong> n°12_(dé)monter des images_juillet 2004Les yeux bleus perçant, la démarchedécidée, Cécile Decugis parlevite, va droit au but. On comprendvite que les théories, le blabla,ça ne l’intéresse pas.D’ailleurs, elle n’a jamais aimé lesétudes ni le milieu étudiant. Ellese forme avec Victoria Mercanton(“une femme très autoritaire, untempérament russe”), travaillecomme assistante sur MadameDe… de Max Ophüls. Par l’intermédiairede Claude de Givray, ellerencontre François Truffaut, monte Les Mistons, À bout desouffle, puis Tirez sur le pianiste. À l’époque, comme ditCatherine Breillat, pour travailler dans ce milieu, les femmesavaient le choix entre monteuse ou script. Elle a toujours aiméle cinéma, et particulièrement “les gens qui marchent dans larue”. Elle évoque avec enthousiasme ce “côté Louis Lumière”du cinéma : “Quand vous regardez une photo des années 10ou des années 20, c’est extraordinaire, ça vit.” Elle parled’Illuminations, le premier film de Pascale Breton sorti enjuin dernier, de Bergman à la Cinémathèque rue Messine, deLa Nuit Des Forains, qu’elle a vu à 20 ans à la Pagode. “Unchoc !”. Cette époque d’intense effervescence, elle la décritcomme une période de travail formidable, d’osmose entre desjeunes gens très libres, remarquablement intelligents. Haïspar tous, montrés du doigt dans la rue lorsqu’ils faisaient desdescentes en groupe à la Cinémathèque, ils partageaient unemanière de voir le cinéma, de penser l’existence. Elle citeGodard : “nos films étaient meilleurs que les autres parcequ’on se parlait tout le temps entre nous”. “Oui, c’était formidable”,cette vie intense, toujours très exaltée.Elle n’allait pas sur les plateaux parce que les réalisateurs ontbesoin d’un regard neuf. Ils cherchent un autre point de vue,un premier regard spectateur. On s’assoit dans la salle, le soir,on regarde les rushes sans être prévenu. On vous pose desquestions un peu naïves, pour voir si vous avez compris ce quise passe dans le film. Elle décrit le montage comme un travailqui s’organise autour d’une matière, prise au tournage.Quand cette matière est riche, le montage peut devenir vraimentintéressant. Elle trouve ridicule l’idée que le monteurpuisse avoir un rapport possessif au film : “C’est de la mauvaiselittérature, c’est du bavardage”. Un film n’appartientmême plus au réalisateur, c’est un objet… Sur A bout de souffle,elle estime n’avoir rien fait. Elle faisait ce que Godard luidisait. Il savait parfaitement ce qu’il voulait. Rohmer aussi,avec qui elle a travaillé pendant plus de dix ans. “Il a unemanière de poser le plan, d’en poser un autre, de construirelonguement un champ-contrechamp, tout est très pensé etprend forme au montage. Mais je crois qu’il y a les cérébrauxet les instinctifs”. Truffaut travaillait tout à fait différemment.Il aimait particulièrement le tournage, ce moment de foisonnement,de bouillonnement. Il y dépensait sans doute touteson énergie et arrivait peut-être au montage épuisé. Il demandaità ce que les séquences soient montées, puis il les visionnait.“Il allait une fois en projection et il savait très vite ce qu’ilfallait raccourcir, enlever, équilibrer, il avait un grand esprit desynthèse… mais tous les américains montaient comme ça”.Si elle a réalisé trois courts métrages et quelques documentairesfilmés en Super 8 et montés bien plus tard, elle travaillait“avec des gens de tellement haut niveau, que je ne pensaispas pouvoir faire le quart de ce qu’ils faisaient.Aujourd’hui, c’est différent. Tout le monde peut avoir unecaméra, on tourne en numérique, il n’y a pas d’obstructions,ni psychologiques, ni financières. Mais je considère toujoursqu’on ne fait pas un film comme ça”. Pour ses derniers films,de jeunes monteuses l’ont aidé à manipuler le numérique.Elle ne sait pas s’en servir. Mais elle s’étonne de rencontrertant de nostalgie pour la pellicule chez ces jeunes gens qui nel’ont pas vraiment manipulée. Ce qu’elle trouve embêtantavec le numérique, c’est que les monteurs travaillent seuls.Elle trouve cela un peu angoissant. Eux travaillaient “à trois,avec une assistante et une stagiaire. Cela donnait du punch,on se demandait si ça fonctionne, si ça marche”. Quant à ladisparition des projections en 35mm, comme disait JeanRenoir, “que l’écran soit carré, rectangulaire ou rond, un bonfilm reste un bon film”.ANNE FEUILLÈREactions cinéma / audiovisuel projections / 111