LES PUBLICS__POINTS DE VUE© Carole FonfriaCHOISIR LES FILMSQuels films choisir ? Existe-t-il des contreindicationsen matière de programmation ?“Nous devons tenir compte du thème desfilms et de la pathologie du patient” expliqueMarie-Françoise Llorca, cadre socio-éducatifau centre médical MGEN de Chanay, “L’annéedernière, un film sur la drogue était programmé.L’un de nos patients devait justementse tenir à distance de ce sujet. Dans cecas, nous nous interdisons d’emmener la personne,de peur de la perturber avec des chosesqu’elle ne serait pas encore prête à gérer”.Au Centre culturel de l’hôpital psychiatriquedu Vinatier, “nous ne voulions pas prendreen compte l’état psychologique des maladesdans le choix des films” affirme CarineDelanöe-Vieux, qui sélectionnait les filmsavec la directrice du cinéma Les Alizés,Colette Périnet. “Nous avons toujours considéréqu’il n’y avait pas un art pour les schizophrènes,un art pour les autistes et un artpour les unijambistes. Le secteur artistiqueest dans une démarche d’offre, il fait découvrirdes univers et des esthétiques que l’on neconnaît pas forcément. Nous avons pris le risqueque certaines choses soient mal vécues.Après tout, nous sommes une partie de laville, du monde, au sein de l’hôpital, même siles conditions sont beaucoup plus protectrices(un quart de la salle était constitué de soignants).Et il n’y a jamais eu de problème”.Débat oblige, le choix se portait sur des filmsfrançais contemporains, “grand public et dequalité”. Pas de thématique particulière, mais“le désir d’aborder tous les sujets, sans resterfocalisé sur la psychiatrie : parler de lafamille, de la mémoire, des questions quitrouvent évidemment un écho particulier parrapport à la maladie mentale, mais qui nousconcernent tous. Capitaine Conan, premierfilm programmé, en présence de BertrandTavernier, avait pour thème la réinsertionpossible d’un soldat. Cette question noussemblait rejoindre celle de la réinsertion desmalades. Nous avons aussi programméPassage à l’acte ou Voyages d’EmmanuelFinkiel, sur la mémoire.”Au Jardin d’Émilie, un petit groupe de personnesâgées participe à la programmation.“Ils nous disent quels films ou quels acteursils voudraient voir en priorité” expliqueNicole Escribano, animatrice. “Chacun a sespréférences, ses souvenirs. Les films qui lesrenvoient à des choses douloureuses, commela guerre, sont assez mal vécus. Ils n’ont pasenvie de retrouver ce genre de traumatisme.Un film comme Jacquot de Nantes a énormémentapporté au niveau du souvenir. C’étaitleur histoire : l’école, le début du travail”.Dans ce programme, les séances s’inscriventdans un projet d’accompagnement visant àpréserver l’autonomie intellectuelle des personnesâgées le plus longtemps possible.Peut-on conclure à un possible usage thérapeutique- autant que culturel - du cinéma ?“Oui”, répond Nicole Escribano. “Des ateliersJournal et Mémoire permettent de reparler desfilms, d’écrire dessus. Nous avons projeté desfilms plus récents comme 8 femmes qui les asurpris, et c’est bien. Il est mieux que le filmplaise. Mais l’essentiel est qu’il provoque uneréaction. Si les personnes disent qu’ellesn’ont pas aimé le film pour telle raison, celaprouve qu’elles l’ont analysé. Le cinéma stimuleet provoque toujours une réaction émotionnellecar il reste magique. Grâce à lui, onpeut ressentir des choses différentes du quotidien,de l’environnement, de la maladie etde la vieillesse. Dans un lieu où la vie estralentie, cela crée de nouveaux souvenirs,cela devient une richesse à laquelle se raccrocher.C’est important pour l’estime de soi.Programmer des séances signifie que l’onconsidère les gens comme des citoyens quiont les mêmes droits et les mêmes enviesque s’ils étaient chez eux”.“En soi, amener quelqu’un au cinéma n’estpas thérapeutique” observe de son côtéMarie-Françoise Llorca, cadre socio-éducatifdu centre médical MGEN de Chanay. “Ladimension importante de ce type d’actionsest de rendre attrayant le séjour du patient etde lui permettre ainsi de mieux adhérer auxsoins. S'il se sent bien ici, s'il apprend deschoses sur les plans personnel et culturel,son adhésion aux soins sera meilleure. C’estindirectement thérapeutique”.MOYENS ET PERSPECTIVESL’action culturelle cinématographique est-elleparticulièrement difficile à mettre en place enmilieu hospitalier ? “Il est tout à fait possibled’organiser une projection avec du matérielléger, de trouver une salle” répond ClaudeEdery, Directeur adjoint de l’hôpital de StAlban et Président de l’association Cinéma ethôpital. “Les gens qui organisent sont vraimentrécompensés par l’engouement que lepublic manifeste. La difficulté est moinsimportante que l’on pourrait le penser. Elleest plutôt d’ordre institutionnel. L’hôpital doits’habituer à être un espace public ouvert,ouvert aux arts et, par ce biais, à la vie”.Les porteurs de projet, selon lui, proviennentaussi bien du milieu culturel qu’hospitalier :“les membres d’une association comme Lestoiles enchantées sont tous artistes et amateursde cinéma, étrangers au milieu hospitalier.Et notre association Cinéma et hôpital estaujourd’hui principalement composée d’administrateurshospitaliers, de directeurs, desoignants et de membres du personnel hospitalier”.L’entrée de la culture à l’hôpital marque aussil’émergence d’un nouveau métier, celui deresponsable culturel hospitalier. “Ils sont surtoutprésents dans les grands centres hospitaliers”constate Claude Edery. “Ailleurs, cesont des bonnes volontés : un soignant quioffre son temps et son énergie pour mobiliserles autres. Il n’y a pas de formation spécifique.Ce métier se construit, se fabrique, ildoit trouver ses marques”.Mais, insiste Xavier Collal, “sans une personne-ressourcecompétente, faisant le lienentre le milieu culturel et le monde hospitalier,la mise en place de politiques culturellessérieuses au sein des hôpitaux sera impossibleà envisager”. Ceci oblige les personnesissues de la culture “à intégrer les rouages etla logistique de l’hôpital, et inversement, cellesvenant de l’hôpital à se familiariser avec lemonde de la culture, puisqu’elles seront encontact direct avec les opérateurs culturels”.L’action culturelle à l’hôpital est avant tout uneconstruction de partenariats qui rassemblentdes gens d’horizons différents, désireux decroiser leurs objectifs et leurs compétences.DAVID MATARASSO54 / projections actions cinéma / audiovisuel
LES PUBLICS__ENTRETIENLanternes magiquespour enfants hospitalisésÀ l’hôpital pour enfants de Saint-Denis de la Réunion, le cinéma et l’audiovisuel sont entrés par la grande porte. Unecollaboration dynamique entre Françoise Kersebet (conseillère pour le cinéma de la Drac) et Camille Touzé (associationd’éducation à l’image, La lanterne magique) a permis d’offrir toute l’année aux enfants de nombreuses propositions(séances en salles, dont L’île de Black Mor avec Jean-François Laguionie, au festival “Cinémarmaille”, en plein air avecdes dessins animés de Miyazaki ou de Chaplin, ateliers vidéo et photo). Pour couronner le tout, les enfants vont créerune décoration permanente sur le thème du cinéma dans une partie rénovée de l’hôpital.article paru dans <strong>Projections</strong> n°16_proche très proche_juillet 2005Malle cinématographique © La lanterne magiqueComme tous les projets cohérents d’éducation à l’image, letravail de La lanterne magique est inscrit dans le temps. Lespremiers ateliers de sensibilisation ont débuté en décembre2003 avec “La Malle cinématographique”. “Cet outil a pourobjectif d’expliquer la naissance du cinéma en partant desombres chinoises pour aller jusqu’à la projection d’un dessinanimé en Super 8. La “Malle” contient une vraie lanternemagique et des reproductions de différents jouets optiques du19 e siècle. En finalité, les enfants fabriquent une roue magiquequi permet de comprendre le fonctionnement de l’imageanimée”, explique Camille Touzé.Après avoir organisé une “Malle” par trimestre et des jeuxautour de la vidéo, l’association propose une découverte desombres chinoises et des courts métrages de Buster Keaton. En2005, les actions sont intégrées au dispositif cinéville. PourFrançoise Kersebet, ce travail avec l’hôpital est symboliqued’une “logique progressive et respectueuse de l’existant. Nousconstruisons une dynamique d’éducation à l’image à partir duterrain, et avec des professionnels. Nous utilisons cinévillecomme un outil d’aménagement du territoire et de travailavec le public. Mon souci est la cohérence de l’action globaleet de l’action menée sur chaque site à partir d’un lieu”.Réflexion similaire pour Camille Touzé qui évoque “une tentatived’immersion régulière à l’hôpital” et qui affirme lavolonté “de faire une éducation à l’image “de terrain” en lienavec les difficultés de chacun”.Rien n’aurait pu se faire non plus sans “une équipe dynamiqued’éducatrices qui ont facilité notre approche”, reconnaîtCamille Touzé. Ce partenariat de qualité devrait se développerpar la mise en place d’une formation pour le personnel del’hôpital : sensibilisation à l’éducation à l’image, compréhensionde la différence entre animateur et professionnel, entreactivité occupationnelle et atelier de création, initiation à lavidéo. Le projet a créé des envies et la formation est devenueindispensable, surtout depuis que, grâce à l’opération “piècesjaunes”, le service éducatif s’est équipé en vidéo numérique.Il faut dépasser “l’utilisation “témoignage” de la caméra pourqu’elle devienne un outil d’activité. L’objectif est de rendre lepersonnel indépendant et créatif à partir du matériel présentà l’hôpital”, précise Camille Touzé.Les enfants de l’hôpital viennent de toute la zone de l’Océanindien (Comores, Madagascar) et de tous les coins de l’île. Laprincipale difficulté est visiblement liée aux caractéristiquesdu public. Comme l’explique Camille : “ils sont toujours enmouvement entre les soins et la salle d’activités. Un enfant adu mal à suivre une activité en entier. Par ailleurs, le public estdisparate au niveau de l’âge, de 3 à 17 ans. C’est très déstabilisant.Ce contexte oblige à remettre en cause son mode defonctionnement et met en relief la nécessité du moment présentdans les activités proposées”. À cela, s’ajoute la rotation“donnant, par instants, la sensation de donner des coupsd’épée dans l’eau”. Il y a aussi les rencontres dont se souvientCamille : “La gentillesse de Laguionie a permis un momentd’une grande simplicité malgré la timidité des enfants”.Dans cette île éloignée de l’hexagone, où le relief sépare aussiles 22 communes entre elles, ce travail réalisé à l’hôpital estexemplaire car il permet d’imaginer, à partir d’un lieu, undéveloppement avec les structures environnantes et une véritabledynamique de partenariat avec les collectivités locales. Ilmet en valeur la nécessité pour tous d’adhérer à un travail defond et de soutenir ces actions de proximité à taille humainequi font, en premier lieu, le bonheur des enfants hospitalisés.FRANÇOIS CAMPANAactions cinéma / audiovisuel projections / 55