LES ACTEURS__ENTRETIENCinéma de quartierOrganiser une séance en plein air : une entreprise délicate, qui exige passion et investissement personnel si l’on encroit Jacques Materne, directeur et programmateur du cinéma Kursaal à Besançon.article paru dans <strong>Projections</strong> n°6/7_cinéville_juillet 2003Qu’est-ce qui vous motive dans l’organisationde séances en plein air ?J’ai commencé à organiser ce genre de séancesau pied des immeubles, dans des quartiersde Besançon quand l’opération “un étéau ciné” n’existait pas encore. Je tendais undrap entre les fenêtres d’un habitant, je prenaisle courant chez l’autre… Les projectionsse faisaient en 16 mm. Plus tard, j’ai programméquelques séances plein air dans deslieux remarquables de la ville, comme la citadelle.Nous avions trouvé un concept amusant.Comme la nuit ne tombe que vers dixheures et quart, nous faisions une animationavant la projection : un concert de jazz ouquelque chose en rapport avec le film,comme de l’escrime de théâtre avant Les troismousquetaires ou La fille de d’Artagnan.Aujourd’hui, nous projetons en 35 mm etnous faisons appel à deux circuits de cinémaitinérant de Haute-Saône, “Cinévasion” et“Ecran mobile”.Sur quoi repose selon vous la réussited’une séance en plein air ?Avant tout sur le travail avec les structures dequartier. On ne peut pas prétendre parachuterune fête clé en main. Nous travaillons avecplusieurs associations qui possèdent un foyerde jeunes travailleurs et font déjà un travailsur le cinéma. L’un d’eux, le Foyer desoiseaux, diffuse tout l’hiver des films de qualitépour le quartier et possède une salle deprojection en 35 mm qui peut servir de replien cas de pluie. Sur les séances en plein air,nous apportons la technique et le film ; lesstructures, elles, travaillent à rendre la soiréepossible d’un point de vue légal et pratique.Elles prennent en charge l’organisation surplace, la lumière, la sécurité, les stands deboisson... Les aspects festifs sont à leur initiative.Ce type de séance attire-t-il toujours lepublic ? Combien de spectateurs comptezvousdans le meilleur des cas ?La fréquentation est très variable, elle dépendvraiment du travail fourni par la structureavec laquelle nous sommes associés. Si celle-cimobilise bien les gens pendant les quinzejours ou la semaine qui précèdent la projection,il n’est pas étonnant d’accueillir trois ouquatre cents personnes. De notre côté, nousplaçons des affiches dans les cafés, les boulangeries; le journal local et les radios localescontribuent aussi à faire connaître la manifestation.Mais dans le quartier, la promotionreste quand même l’initiative des animateurs.Quel type d’animation peut enrichir lesséances en plein air ?Pour ma part, j’essaie de leur associer le principedes séances spéciales d’“un été au ciné” :j’organise chaque année quatre ou cinq séancesen plein air en présence de réalisateursou d’acteurs. J’ai invité par exemple la réalisatriceCaroline Vignal pour Les autres filles quenous avons montré au foyer des jeunes travailleurs.C’est un film sur les émois d’unejeune fille qui s’interroge sur sa virginité, uneéducation sentimentale moderne. Lors de ladiscussion, de jeunes musulmans, outrés,ont déclaré que les filles n’avaient pas le droitde disposer de leurs corps de cette façon. Desfilles leur sont rentrées dans le lard. Ça a étéun très bon débat. Ce mélange entre séancespéciale et séance en plein air est concevableavec certaines structures. Mais pas partout,pas n’importe comment. Passer un film surles problèmes de l’immigration dans unquartier, comme ça, de but en blanc, ce n’estpas une bonne idée. Si ce n’est pas préparéen amont par une structure pendant plusieursmois, mieux vaut ne pas y songer.Quelle est votre politique par rapport auchoix des films ?À Besançon se trouve un centre de linguistiqueappliquée. En été, des centaines de professeursde français à l’étranger viennent travaillerici. Pour cette raison, j’ai choisi de nepasser que des films français sur les séancesen plein air (à l’exception l’an dernier deChicken Run) : Irma Vep, La Parenthèseenchantée, Le Lait de la tendresse humaine, etc.Les travailleurs du Foyer des oiseaux acceptentfacilement d’avoir des films français,plutôt axés Recherche. Leur programmationhabituelle est déjà très exigeante. Pour moi,c’est la durée qui constitue un critère important: deux heures trente de projection, c’estdifficile à gérer sur le plein air. Une heure etdemi, c’est suffisant. Il m’arrive enfin de passerun film qui n’est pas inscrit sur la liste del’année d’“un été au ciné”. Je préfère être enaccord avec la structure de quartier et luitrouver le film dont elle a envie plutôt que delui imposer un film de la liste.Haute-Normandie © DR112 / projections actions cinéma / audiovisuel
LES ACTEURS__PERSPECTIVEStournée des quartiers à Strasbourg © arachnimaVOLET EMBLÉMATIQUE D’“UN ÉTÉAU CINÉ”, LE CINÉMA EN PLEIN AIRASSOCIE SPECTACLE, DIMENSIONFESTIVE ET VIE DE QUARTIER.GRÂCE À LUI, FAMILLES, ENFANTSET ADOLESCENTS PEUVENT VOIRUN FILM GRATUITEMENT DANSDES CONDITIONS OPTIMALES, LAMAGIE DE L’ÉTÉ EN PRIME.Plein air de fêteAutant que le choix du film, c’est la collaboration entre structures et exploitants de salles qui sert de socle à la tenued’une séance en plein air.article paru dans <strong>Projections</strong> n°6/7_cinéville_juillet 2003Abobikrine Diop en est convaincu : “Laséance en plein air renforce les lienssociaux”. “Les gens sont détendus, ils rient,on voit les familles se rassembler autourd’une même activité” poursuit le Directeurdu Centre Social Jaques Brel de Port-de-Bouc. “Et lorsque c’est fini, on sert un thé àla menthe”.“Ce que nous recherchons à travers lesséances en plein air” observe de son côtéEric Louvrier, coordinateur du Centre socialde la MPT des Longs Traits, à Pontarlier,“c’est le développement d’une animation deproximité, à caractère convivial et de découverte”.Pour lui, une bonne séance en plein air seremarque à certains signes : “Le fait que lesgens vous donnent un coup de main pourranger les bancs, démonter l’écran et lematériel, constitue une démarche volontairede remerciement. Cela prouve que les spectateursont passé une bonne soirée. Il arriveaussi qu’on ait des petites discussions maisje ne vous cacherai pas que dans notrerégion de montagne, il fait frais et en général,les gens plient bagages assez vite”.Convivialité et partage semblent être lesmaîtres mots d’une séance de cinéma enplein air. Mais comment parvenir à les instaurer? Comment, à partir d’un spectaclecinématographique, créer une fête de quartier?“Il faut que tous les gens du lieu associés àcette projection s’impliquent dans sa préparation: associations de quartier, associationsmunicipales, habitants” souligneJérémie Poulanges de l’association Eidos(Montauban). “Par expérience, nous savonsque lorsque nous débarquons dans un quartieren organisant une projection sans avoirimpliqué les gens, cela ne fonctionne pas”.“Souvent”, ajoute-t-il, “on peut associer à laprojection d’autres initiatives : un concert,un repas de quartier... Mais là aussi, il fautfaire attention : s’il y a trop de choses, celanuit à la projection. Elle passe inaperçue carles gens ne sont plus disponibles pour lefilm”.Abobikrine Diop, lui, a décidé d’allerjusqu’au bout de la logique festive : cetteannée, il inscrit la séance en plein air dansle cadre d’un festival de trois jours, “LesParolades”, mis en place par son centresocial. Au programme : de la musiquemaghrébine, un groupe gitan, des pièces dethéâtre de compagnies amateurs, une lecturede texte... “L’idée est d’établir un lienentre différentes activités culturelles -leslivres, le spectacle vivant - et de finir par lecinéma”.Même ville, autre approche : YannickCombaluzier profite de la séance pour donnerun petit coup de projecteur sur les travauxaudiovisuels réalisés au CLSHTichadou qu’elle dirige.“Nous menons tout au long de l’année desactions en direction des jeunes et desenfants” explique-t-elle, “ notamment desateliers vidéo. Le jour de la séance en pleinair, on invite les gens à partir de 19h pourun petit apéritif durant lequel on diffuse lesfilms d’ateliers. Ce sont des films très brefs(deux ou trois minutes). Ils passent sur destélévisions disposées un peu partout.Comme ça, les gens du quartier et lesparents peuvent regarder ce qu’ont fait lesenfants, découvrir l’activité, demander desrenseignements”.Ensuite vient la projection. Sa réussitedépend de plusieurs paramètres au premierrang desquels viennent la météo, l’absence delumières parasites - “mais aussi un bon éclairageaprès la projection” (Jérémie Poulanges)- ou encore le silence ambiant...actions cinéma / audiovisuel projections / 113