ENJEUX__ATELIER EN MARCHE“une sage-femme qui accoucherait de la parole”Un atelier “un été au ciné/cinéville” à Lille : une expérience exemplaire, deux superbes films...article paru dans Cinéville n°8_février 2002“On ne voulait pas faire du fictif... On en voit tousles jours à la télévision”, signé Moktal. En direct,sur la scène du cinéma L'Univers à Lille, la parolecircule. L'image crée du sens, fait débat. Elle est là,incarnée par les participants lillois de l'atelier “unété au ciné/cinéville” de juillet dernier. On est loindu fictif... Ingrid annonce à la salle toute entièrequ'elle va bientôt se marier ! “Dans le film, j'avaispréparé ce que j'allais dire, et puis, finalement,devant la caméra, cela ne s'est pas du tout passécomme prévu. J'ai lâché des choses que je n'auraisjamais dites autrement”. Confidence pour confidence,Ingrid a des convictions religieuses. Alors,sa soeur “homo”, elle ne supportait pas trop...Jusqu'à cette rencontre avec Alexandre. Devant lacaméra, Alex lâche dans un souffle : “Je suis homoet handicapé mental”.“Ce fut dur de dire...” confie-t-il, maintenant, aumicro. “J'ai aimé l'atelier car il y a eu du respect”renchérit Ingrid. Pour Grégory, l'émotion est tropforte : les mots ont du mal à sortir mais le corpstout entier parle pour lui. “Depuis, je suis plus tolérant.Avant, je n'aurais jamais pu parler avecAlexandre” souligne Haroun. “Ce qu'on a vécuensemble m'a ouvert les yeux. On a passé un bonmoment et puis voilà...” conclut Salim.“Tout homme est tout autre et moi commetous les autres...” (Jean Genet)La salle est sous le choc. Mais pourquoi faire unfilm de plus sur la différence ? demande une spectatrice.Sans doute, parce qu'il n'y avait pas d'autrechoix possible. Le pari était un peu fou, à la mesurede l'enthousiasme communicatif de NicolasHuguenin, coordinateur régional de “un été auciné/cinéville”, et de l'engagement des partenaires.Comment, en effet, bâtir un film et un projet collectifavec des participants issus de quatre structuresaussi différentes que la MAJT de Lille-Moulins,le Foyer Bouvines de Fives, un centre de PapillonsBlancs et le Foyer Nazareth ? Black, Blanc, Yougo,Beur, Handicapé, Jeune Travailleur, Homo, Hétéro,Fille, Garçons... “J'ai beau avoir roulé ma bosse unpeu partout, jusqu'au fin fond de l'Afrique, je flippaisvraiment avant d'entamer l'atelier. Comme sij'étais envoyé au front... avoue l'intervenant, lecinéaste bruxellois Philippe de Pierpont. Et puis,très vite, j'ai pu mesurer le travail exemplaire quiavait été réalisé en amont. Le groupe a fonctionnétout de suite. Le thème de l'autre s'est imposé. Il aété choisi par tous les participants comme une évidence: la différence, c'était bien le seul point communqui nous réunissait. C'est à ce moment que jesuis intervenu en disant : OK, mais avant dedemander aux autres de s'exprimer et de sortirdans la rue, chacun va parler de lui-même”.À la sortie, le résultat est là : deux films superbes,70 / projections actions cinéma / audiovisuelFo 2 Two pour faire un monde et Jaco le mécano, quisont un coup à l'estomac. Faut de tout... Autant labeauté du premier film est évidente, criante d'humanité,autant le “Jaco...” jette le trouble. Il s'agitd'un long plan séquence sur une espèce de facteurCheval se plaisant à collectionner les clichés lesplus éculés et les pires fantasmes qui traînent dansla société. À côté, les brèves de comptoir, c'est rien !Et pourtant, de la sympathie circule entre les participantset ce drôle de mécano. “On s'est posé laquestion, explique Philippe de Pierpont... Peut-ontout montrer ? En fait, on a répondu lorsqu'on s'estrendu compte que le film faisait seulement débat àpartir du moment où l'interviewé commençait à semoquer du handicap. Cela pose les limites de notrepropre regard. Et c'est Grégory lui-même qui adonné son accord. Il est toujours resté d'unegrande dignité”.Manifestement, Philippe de Pierpont n'est passorti indemne de l'aventure. “L'intervenant sorttoujours plus riche d'un atelier, mais là, ce fut dubonheur intégral. Un peu comme une sage-femmequi accoucherait de la parole. Le résultat, je crois,est à la hauteur de l'engagement et de l'authenticitédes participants”. À quoi sert le cinéma ? À élargirle monde, à bouleverser le regard. À la sortie, dernierfanal de la rue, l'enseigne de la salle- L'Univers - colle comme un hasardobjectif à l'émotion du présent. “Touthomme est tout autre et moi commetous les autres...” a écrit Jean Genet.Ouais, d'un coup, on se sent frères. Humain toutsimplement. Les textes hip hop de Salim dans Fo 2Two pour faire un monde... trottent encore dans latête : “Limsa se pose tranquille comme ça / pour unnouveau combat / celui de combattre le cismera...”“Moi, je ne me suis jamais senti différent. À sixmois, j'ai eu un accident. C'est tout. Ce sont lesautres qui m'ont dit différent. Alors, j'ai eu peurdes regards. Maintenant, je me sens bien dans mapeau” dit une dernière fois David. “Je suis content.On s'est vraiment bien débrouillé” enchaîneGrégory, corps détendu. Le lendemain, au hasardd'un supermarché de Lille, Alexandre - “ce fut durde dire...” - reconnaît l'homme qui la veille prenaitdes notes sur un cahier. Il se précipite...“Alors, il était bien... MON film ?”HERVÉ LEROYL'atelier “un été au ciné/cinéville” a été soutenu à Lille par laMission Locale. La présentation des film réalisés eut lieu lemardi 22 janvier 2002 au cinéma L'Univers. Auparavant, “Fo 2Two pour faire un monde” et “Jaco le mécano” avaient étéprojetés au Havre lors du colloque national CNC “éducation etimage” et à Thionville, lors du “Video du Réel”. Prochain rendez-vous: le 13 février à Halluin avec les rencontres régionalesNord-Pas-de-Calais “un été au ciné/cinéville”.Merci à Moktal Terki, Salim Klibi, Grégory Leroy, AlexandreGrujic, Ingrid Bendre, Haroun Sow, David Pruvost et tous lesautres...
ENJEUX__ENTRETIEN© Marc Laverlochere / KYRNÉAPROFONDÉMENT ENRACINÉEDANS LA VIE CULTURELLEET ASSOCIATIVE, L’ÉDUCATIONPOPULAIRE N’A DE CESSEDE POURSUIVRE SES MISSIONS :L’ACCÈS DÉMOCRATIQUEÀ LA CULTURE ET L’ÉDUCATIONÀ LA CITOYENNETÉ.QUEL EST LE RÔLE DU CINÉMA -ET DE L’IMAGE - AU SEIN DE CETTEDÉMARCHE ? ART, OUTILPÉDAGOGIQUE, INSTRUMENTDE DÉBAT, DIVERTISSEMENT…LES PISTES SONT NOMBREUSES.À bonne écoleLigue de l’Enseignement, Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture (FFMJC), Francas : trois visionscomplémentaires de l’éducation populaire. Trois regards singuliers sur la place du cinéma dans nos sociétés et les enjeuxd’une éducation à l’image. Jacqueline Costa-Lascoux, Présidente de la Ligue, Michel Dehu et Fernand Esteves, respectivementDélégué général et Chargé de mission de la FFMJC et Philippe Thillay, Délégué général adjoint des Francas répondentà nos questions.article paru dans <strong>Projections</strong> n°1_éducation populaire et cinéma_septembre 2002Pouvez-vous présenter votre association,ses principes, ses buts et sa démarche ?Jacqueline Costa-Lascoux : Tout d'abord, laLigue de l'enseignement est un mouvementlaïque. La laïcité, au sens d'un mouvementnon inféodé à une croyance, à une idéologieou à une confession, est pour nous un principeessentiel ; nous ne sommes pas uneassociation caritative. Ensuite, nous travaillonsavec l'école, dans et autour d'elle : laLigue de l'enseignement, créée en 1866 parJean Macé, est à l'origine de l'école publique.On ne peut pas parler d'éducation populairesans s'interroger sur ce qui se passe dans lesétablissements scolaires, sans participer, avecles enseignants et avec les élèves, à la transformationde l'école, dont nous sommes l'undes premiers partenaires. Troisième spécificité: l'éducation populaire signifie l'éducationtout au long de la vie, bien au delà de l'âge précisde la scolarité et des enseignements académiques.Enfin, la dernière grande spécificitéest l'importance que nous attribuons à la cultureartistique dans l'éducation : très tôt, l'enfantne doit pas seulement apprendre à lire età compter, mais avoir accès à la création, pouvoirlui-même acquérir le goût et la pratiquedes activités artistiques.Michel Dehu & Fernand Esteves : Notre missionest l’éducation à la citoyenneté et la créationd’un espace public : contribuer au questionnementsur l’organisation sociale, à l’apprentissagede la raison critique. Cela s’effectueau travers d’actions culturelles, sociales etpolitiques, qui peuvent favoriser l’engagementindividuel et l’appréhension des problématiquesde nos sociétés, afin que lescitoyens puissent agir en retour sur celles-ci.Pour nous, la musique, le théâtre, l’écriture,la vidéo, la photo ou les arts plastiques sontautant de médias par lesquels une démarched’éducation populaire peut développer sonoriginalité et sa pertinence. La médiationartistique permet aux individus d’interpréterle réel, elle peut être un formidable moteurde transformation sociale. En même temps,ce projet ne se réduit pas à la notion de transformationsociale, il s’inscrit plus largementdans une démarche de conscientisation politique: “rendre la raison populaire”.Philippe Thillay : Les Francas sont un mouvementd’éducation populaire laïque, ayantpour mission de s’occuper des loisirs éducatifsdes enfants et des jeunes sur leur lieud’habitation. Dans les années 60, à partir ducentre aéré, nous avons fait émerger leconcept de centre de loisirs sans hébergement.Nous avons largement contribué à lepopulariser durant les années 70 et 80 et laFrance en compte aujourd’hui à peu près18000. C’est une réussite très importantepour une institution qui est un service nonobligatoire. Depuis les années 80, considérantque la France était pour une large partéquipée en centres de loisirs, nous avonsréexaminé notre projet et nos modalités d’intervention.Nous avons notamment réinterrogéla question du temps libre des enfants etdes jeunes. Il nous est apparu que de ce pointde vue, la France avait profondément évoluéau cours des années 80. En raison de la généralisationdu travail féminin, le temps libreoccupe une place de plus en plus importante.Lorsque l’enfant n’est pas à l’école, il n’estplus nécessairement dans sa famille puisquecelle-ci n’est pas toujours disponible. Il y a làun véritable espace de vie concernant la quasitotalité des enfants et des jeunes. Depuis unedizaine d’années, nous multiplions les initiativespour valoriser ce temps là, ses enjeux, etaider les collectivités locales, les associationsmais aussi les familles à trouver les réponsesadaptées.actions cinéma / audiovisuel projections / 71