NOUVELLES PRATIQUES__PORTRAITChantal Briet, cinéastearticle paru dans <strong>Projections</strong> n°21_la télévision en débat_septembre 2004De sa jeunesse à Roubaix, où elle estnée en 1961, Chantal Briet conserved’abord le souvenir d’adolescentsdésoeuvrés dans des rues désertes.À cause de ces groupes de jeunesqui “tenaient les murs”, ses sœurset elle n’avaient pas le droit de sortiren ville. Une ville frappée par lacrise, la fermeture des usines textileset l’explosion du chomage.Des années plus tard, elle est revenueà Roubaix après ses études. “J’aieu envie de me confronter à cesinterdits, d’entrer en relation avecces jeunes et de voir s’il y avait vraimentdes raisons d’avoir peur, ou sic’était du fantasme, juste la peur del’autre, de l’étrange étranger”.Cela a donné naissance à son premier film : Inch’Allah, en1987, une fiction “très proche du documentaire” dont elle voitavec le recul qu’il fut “l’un des premiers films à avoir donné laparole à des jeunes issus de l’immigration, notamment maghrébine”.Depuis lors, les questions sociales n’ont pas quitté ses documentaires,plusieurs d’entre eux étant d’ailleurs à visée préventiveet éducative. Un enfant tout de suite parle du fait d’êtremère quand on est adolescente, Vers un terrain sûr, du modede vie des gens du voyage, Parlez moi d’amour, de la parole desjeunes sur la sexualité. Les adolescents ne sont jamais loin, laréalisatrice dit avoir “continué à aller vers eux et à faire surgirles choses qu’ils n’expriment pas d’habitude”.Au départ, elle voulait devenir écrivain. Durant ses études de lettresmodernes à l’université de Lille III, elle fréquente Le Méliès,découvre les films de Mizoguchi et entrevoit dans le cinéma lapossibilité de “combiner ensemble différentes pratiques artistiques”.Comme elle appréhende “la solitude des gens qui écrivent”,elle décide de se tourner vers cet art qui, apparemment,permet de travailler en équipe. “Un leurre” confie-t-elle. “On esttrès seul quand on fait un film”. Mais pas totalement : elle entreà l’école de cinéma l’Esra et y fait la connaissance de Jean-PierreLenoir, avec qui elle co-réalise Inch’Allah à 26 ans. “Il a rendu lefilm possible. Pour lui, le contact avec les jeunes beurs qu’onrencontrait dans la rue la nuit était plus simple. C’était un filmdifficile, une fiction sans aucun acteur, avec des enfants et desadolescents qui nous étaient adressés par les éducateurs de rue.On n’était pas trop de deux”.20 ans plus tard, elle semble toujours habitée par cette premièreexpérience. Elle songe même à lui donner une suite, àaller voir ce que sont devenus les anciens ados de la générationque beaucoup disaient “perdue”.Alimentation générale (2005), son premier long métrage (1),est une autre étape marquante. Tourné sur cinq ans dansune cité d’Épinay-sur-Seine, cette chronique décrit le quotidiend’une petite épicerie devenue le dernier lieu de rencontreet d’échange des habitants. “Avec la parole et le rirequi règnent dans ce lieu, le dernier refuge, sans doute,avant un effondrement psychique possible, tant les situationssont douloureuses”, ajoute-t-elle, reprenant les termesd’un psychanalyste, Nabile Fares qui a vu le film. Fille depsychiatre, elle aime la psychanalyse dans laquelle elle voit“une lecture de la vie toujours renouvelée et plus profonde”.Primé deux fois, Alimentation générale lui a ouvertde nouveaux horizons, offert des contact avec des réalisateurs,la possibilité d’aller enseigner à l’étranger et deconstater que “les problématiques autour de l’immigration,de l’exil sont universelles”.Chantal Briet enseigne aussi le documentaire à l’universitéde Marne-la-Vallée, anime des ateliers de réalisation. Cesactivités restent en lien étroit avec le cinéma et lui permettentde choisir librement les projets de films sur lesquelselles désire travailler. Elle se sent proche des réalisateursqui assument un regard singulier et la volonté de créer uneœuvre. Quand on lui demande quels sont les auteursqu’elle admire, elle cite Jean Vigo, Joris Ivens - “peut-êtreparce qu’il est du Nord, comme moi” -, Agnès Varda, Johanvan der Keuken...Elle commence un nouveau film sur la vie d’un centresocial de Belleville à Paris. “À quoi ça sert, un centre social ?On ne le sait pas. Personne ne sait”. Elle veut capter “de l’intérieur,l’essence d’un tel lieu”, voir de près comment setisse le lien social dans un espace qui lui est dédié. Et quin’est guère plus grand, pourtant, qu’une boutique d’alimentation.1- Alimentation générale : sortie le 1er novembreà l’Espace Saint-Michel (7 place Saint-Michel 75005 - Paris).Site : www.alimentationgenerale-lefilm.comDAVID MATARASSO158 / projections actions cinéma / audiovisuel
NOUVELLES PRATIQUES__COMPTE-RENDUTéléphone mobile :le cinéma à portée de mainPocket Films, qui fête en juin sa troisième édition,est le premier festival en France à avoir consacréle téléphone mobile comme un moyen d’expressionartistique à part entière. Cet événement estorganisé par le Forum des Images. Chaque année ysont projetés sur grand écran des films tournéspar des artistes ou des amateurs.Benoît Labourdette, Directeur artistique de lamanifestation, évoquait lors des dernièresRencontres nationales cinéville, les enjeux esthétiquesde ce nouvel outil.Extraits de son intervention.Traumatophonie de Ronan Fournier-Cristol article paru dans <strong>Projections</strong> n°23_passeurs d’images_mars 2007L’initiative du festival Pocket Films a démarré fin 2004, quand nousavons su qu’allait apparaître la nouvelle génération des téléphonesportables, forcément équipés de caméras vidéo. Le fait que chacun denous, dans quelques années, aura dans la poche une caméra et unrécepteur est nouveau. Au Forum des Images, nous avons trouvéimportant d’interroger ce phénomène. Il nous concernera tous, aussibien à travers l’apparition de pratiques amateurs que nous ne connaissonspas encore, qu’à travers la vente de produits par le biais du téléphone.L’ŒIL DE POCHEComme nous avions envie de poser la question en acte, nous avonsproposé à des cinéastes, mais aussi à des artistes, des plasticiens, desécrivains ou des musiciens, de filmer avec des téléphones mobiles.Nous en avons prêté une centaine sans savoir ce que cela produirait.Contrairement à d’autres manifestations, soutenues par des opérateurs,qui commandent par exemple des films d’une minute, nousn’avions aucun principe pré-établi.Et puis les films sont arrivés. Il s’est trouvé que les gens, majoritairement,avaient fait des films de cinéma destinés au grand écran. Ànotre grande surprise, cet objet doté d’une caméra mais qui n’en estpas une, était devenu un nouvel outil de cinéma. Quand Jean-CharlesFitoussi, cinéaste, m’a annoncé qu’il allait tourner un long métrage defiction avec son téléphone, je ne l’aurais jamais imaginé. Le film,magnifique, s’appelle Nocturnes pour le roi de Rome et a été présenté auFestival de Cannes cette année, dans le cadre de la Semaine de la critique.Cet outil amène plusieurs questions. Celle de la technique : que peutproduire cette qualité d’image médiocre ? Celle du genre de films quel’on peut faire, de la spécificité d’un tel outil et de ce qu’il peut apporterà un créateur. Enfin, celle de l’éducation à l’image : quelle placepeut-il avoir dans la pratique des jeunes ?GRAIN NUMÉRIQUELa question de la technique est essentiellement un problème de résolutiond’image. Une image numérique se compose de pixels, despoints pouvant prendre 16 millions de couleurs possibles. Une imagevidéo standard de télévision possède une résolution de 720 pixels par576. Les premiers téléphones, sortis il y a deux ans, avaient une tailled’image de 176 pixels par 144, c’est à dire 32 fois plus petite que celled’une télévision standard. Elle était très mauvaise. En 2007, la résolutionest passée à 640 pixels par 480. C’est quasiment celle d’uneimage DV. Le problème de la qualité sera donc de courte durée.L’aspect le plus surprenant de cette caméra est qu’elle donne l’impressionque la vidéo n’a jamais existé. Elle est purement numérique. Son“grain”, qui n’est pas de nature vidéographique, évoque le Super 8.Jean-Charles Fitoussi est passé ainsi directement du 35 mm au téléphoneportable sans jamais avoir fait de vidéo. Il s’y est très bienretrouvé.La manière dont l’image est captée par un téléphone est très différentedu mode d’obturation du cinéma ou de la vidéo. Il en découle unequalité de mouvements, d’ondulations, tout à fait spéciale, que desartistes se sont appropriés pour des films expérimentaux, des fictionsou même des documentaires.actions cinéma / audiovisuel projections / 159