LES PUBLICS__ENQUÊTEde l’image-modèle et de l’adolescent-copieur.Posées ainsi, les choses semblent caricaturaleset mériteraient bien sûr un débat plusapprofondi. Il semble tout aussi nécessaired’aborder ici d’autres aspects du rapport àl’image, ceux qui mettent en jeu les capacitésd’ouverture et de réflexion des adolescents.Un adolescent s’interroge sur tout - la vie, lasexualité, la politique, etc. -, les images sontautant de sources et de vecteurs à saréflexion. Et pour prolonger celle-ci, il estprêt à s’ouvrir à des images inconnues. “Onpeut montrer beaucoup de choses aux adolescents,il y a chez eux une curiosité potentielle,comme chez tout spectateur” constateOlivier Nahmias, programmateur pour lesséances en plein air et les séances spécialesd’“un été au ciné/cinéville”. “Le film peutêtre un excellent outil de dialogue. Il permetaux jeunes de prendre la parole, d’exprimerleurs sentiments, de rendre compte de leurréalité. Lorsqu’on leur propose des films àcaractère social, par exemple, on leur donnel’occasion de nous parler d’eux, de leur vie,de leur quartier. Mais ce n’est pas le seul butdes séances spéciales. Il s’agit d’abord d’ouvrirune fenêtre, d’aiguiser la curiosité, delaisser des traces.”Expliquer l’intérêt esthétique d’une œuvre,attirer l’attention sur un aspect du film(lumière, montage, etc.), préparer à la découverted’une autre culture : un travail de sensibilisationjugé indispensable par tous ceuxqui font découvrir aux ados les images qu’ilsn’ont pas l’habitude de voir. Celles-ci suscitentdes réactions imprévisibles, qui vontsouvent à l’encontre des prévisions ou desattentes des adultes. Dans le cadre du cinéclubcollégien du cinéma Jean Eustache,François Aymé garde en mémoire deuxaccueils inattendus. “Le premier est celui deFreaks, qui ouvrait un cycle sur les monstres,les thèmes de la normalité et de la différence.Il s’agit d’un film des années 30 ennoir et blanc, sans aucun acteur connu desadolescents. La réception a été plus que favorable,vraiment extraordinaire. La force dufilm est telle qu’elle les a surpris. En uneséance, nous leur avons prouvé qu’il y a dansl’histoire du cinéma des choses dont ils n’ontpas entendu parler et qui les touchent, dontils discutent entre eux. L’accueil de La planètesauvage, lui, m’a plutôt déçu. J’aiconstaté une vraie réticence par rapport augraphisme, très différent de ce qu’ils ontl’habitude de voir. Certains l’ont trouvé laidet du coup, ont eu du mal à reconnaître l’originalitéd’un univers.”EFFET MIROIRLes adolescents sont-ils plus susceptibles des’intéresser à un film dont le thème rejointleurs préoccupations, en vertu d’un “effetmiroir” ? Pas forcément comme on pourraitle croire. Les adultes ne limitent pas leurappréciation au strict contenu thématique, ilsjugent son traitement. Il en va de même pourles adolescents, à ceci près que leurs repères,leur sens analytique (et bien sûr leur positionsociale) diffèrent de ceux des adultes. Ainsi l’“effet miroir” peut se révéler à double tranchant,comme l’explique Olivier Nahmias :“Lorsqu’on montre Petits frères à des adolescentsdu 93, la réception est difficile. D’abordparce qu’ils sont confrontés à leur propreimage et qu’ils n’en sont pas fiers, surtout àcause de ce que la télé véhicule sur la banlieue.Ensuite, et parce qu’ils manquentLA VOIX DE NA’J NASÀ 19 ans, Na’J Nas tourne (Bus Driver), enregistre (l’album “Force et expression”) et faitbouger la Croix-de-Neyrat, quartier de Clermont-Ferrand. Le point de vue d’un adolescentengagé dans l’action culturelle.“L’Esterluette est une association loi 1901 créée il y a trois ans, dont je suis président. Elle comptetrente membres. Son but est d’organiser des évènements culturels (spectacles, expositions, projectionsvidéo), d’aider les jeunes et de valoriser le quartier. Nous disposons d’un petit studio d’enregistrement,d’un équipement vidéo, réalisons des CD et des petits documentaires. Nous aimerionsavoir un local pour accueillir les gens, exposer leurs travaux, monter des ateliers de vidéo et de musique.Mais il est difficile d’obtenir des aides quand on débute. On ne fait pas partie du système et desinstitutions, on se sent un peu sous-estimé. Même positif, le retour des adultes vis à vis de nosactions reste très ponctuel. Il n’a encore jamais débouché sur un soutien à long terme. Bref, si vousvoulez que votre travail soit reconnu, il faut avoir de la poigne. Et puis, je ne veux pas noircir le tableau: cette association, c’est ma passion. Actuellement, nous préparons un court métrage qui en retracel’histoire, les péripéties et les obstacles. Lors des ateliers d’“un été au ciné”, l’encadrement était bienstructuré. Cette fois, nous devons nous débrouiller seuls, apprendre à faire des démarches. Le plusvieux d’entre nous a 24 ans, on manque d’expérience et de technique. Nous aimerions avoir un professionnelà nos côtés pour nous conseiller. Ou bien pouvoir envoyer deux membres de l’associationsur un tournage, afin qu’ils puissent se former, revenir avec des contacts. J’espère que le film seraprojeté au festival de Clermont : il me fascine depuis que je suis enfant et j’y vais tous les ans.”Contact : Na’J Nas / 06 67 18 28 47Association L’Esterluette 3 rue Chapelle de Neyrat 63100 Clermont-FerrandBus Driver34 / projections actions cinéma / audiovisuel
LES PUBLICS__ENQUÊTEd’éducation à l’image, ils peuvent prendre lafiction pour du documentaire, rejeter un filmréaliste français sans effets spéciaux parceque, pour eux, ce n’est pas du cinéma. J’aiconstaté que les films qui transposent leursproblématiques dans un autre contexte, dansun pays étranger, leur offrent un certain reculet, du coup, les passionnent. Mais il ne fautpas généraliser. Les adolescents, souvent,font preuve d’une grande lucidité sur cequ’ils voient”.Enjeu politique, enjeu de citoyenneté, l’imagedoit être considérée au-delà de la question dugoût. Face à elle, les adolescents ne demandentpas qu’on leur confie une grille de lecturemais qu’on développe une faculté d’analyse,qu’ils puissent déployer sur différentsobjets. Au lycée, en option cinéma, l’analysede film n’a pas toujours eu les faveurs des élèves.Jugée rébarbative, entachée de jargon,elle s’opposait à l’idée purement récréativeque certains se faisaient de l’option. Elle aréussi à se faire accepter au fil des années etles élèves l’envisagent aujourd’hui commeun exercice stimulant. Pourquoi ? Parce qu’ilest apparu que sa fonction ne se bornait pasà trier les “bons” et les “mauvais objets”,qu’on pouvait l’exercer sur n’importe quelleimage, sans détruire - ce qui est essentiel - leplaisir procuré par celle-ci.“Il est incontestable que le travail d’analyseamène ces élèves à avoir un autre regard, unregard critique” note Jean-Pierre Castagna,enseignant en Option Cinéma au lycéeAlexandra David-Neel de Digne-les-bains.“Cela n’en fait pas pour autant des spectateursà part en termes de choix de films,même s’ils se montrent peut-être un peu plussélectifs. L’important, c’est le fait qu’ilsconservent un regard critique en allant voirles films grand public. Leur appréhensiondes images n’est pas modifiée dans le sens oùils deviendraient obsédés de technique. Ilss’attachent surtout à ce qu’on appelle - banalement- la production de sens et sont parfaitementconscients du fait qu’une image peutservir à manipuler, à produire de l’idéologie.Cette dimension, la technologie ne doit surtoutpas l’occulter”. La pratique reste souventla façon la plus excitante d’appréhender cette“production de sens”. À l’Institut del’image d’Aix en Provence, ChrystophePasquet anime des ateliers de réalisation en16 mm pour les Ateliers d’expression artistique.Il se dit “frappé par l’envie qu’ont les collégiensde s’affronter tout de suite à des formescomplexes, au niveau du style ou de lanarration. Dès qu’ils se lancent dans la fiction,ils veulent jouer avec diverses temporalités,des flashes back, des univers parallèles,réels et fictifs. Ils veulent arriver à représenterle rêve, la pensée intérieure d’un personnage.”Cette ambition de maîtriser tous lesrégimes d’images témoigne d’une culturecinématographique précoce. Plus largement,elle reflète la complexité de l’univers visueldans lequel évoluent les ados. Ce labyrinthed’images, il s’agit peut-être moins d’enconnaître l’issue que de s’en réapproprier lesrègles, les plans, l’architecture. Car c’est grâceà cela qu’il devient possible, ensuite, de mettreen images son propre labyrinthe intérieur.DAVID MATARASSOLes photos sont extraites du film “Petits frères” deJacques Doillon.L’ÂGE D’OR DU PUBLICUne enquête conduite par le service des études du CNC publiée en août 2000, analyse le mode de fréquentation cinématographiquedu public jeune.Premier constat : les 6-24 ans constituent “l’âged’or de la population cinéma”, un spectateur surtrois étant âgé de moins de 24 ans. La fréquentationdes salles commence à partir de 6 ans,progresse vite pour atteindre son apogée entre 20et 24 ans, cette tranche d’âge effectuant proportionnellementle plus fort taux d’entrées cinéma.C’est aussi chez les jeunes que l’on dénombre leplus de spectateurs dits “habitués” : 42% des 6-24 ans se rend au cinéma au moins une fois parmois, contre 37,5% pour l’ensemble de la population.Les types de films plébiscités varient en fonctionde l’âge : dessins animés pour les 6-10 ans,comédies pour les 11-15 ans, films d’épouvante etd’action pour les 15-24 ans.En ce qui concerne le mode de fréquentation des6-24 ans, l’étude souligne plusieurs caractéristiques.D’abord, la sortie en groupe, qui concerneles trois-quarts des 15-19 ans et plus d’un jeune surdeux âgé de 20 à 24 ans, alors que 42% des françaisse rend plutôt au cinéma à deux. Ensuite, lefait que le public jeune constitue la plus grandepartie des spectateurs de la première semaine. Ilse montre très attentif à l’actualité, sensible auxbandes-annonces et aux extraits de films.Mais la salle revêt une importance égale à celle dufilm pour les 15-24 ans. Sur ce point, leurs critèresdéterminants sont, par ordre d’importance : l’existencede tarifs réduits, la qualité de la projection(pour les 20-24 ans), le nombre de films proposéset la multiplicité des horaires des séances. Descritères auxquels répondent les multiplexes, où46% de l’audience a moins de 25 ans. On note quele recours à une carte de fidélité est moins fréquentchez les jeunes dans la mesure où 56% d’entre euxbénéficient d’une réduction de tarif.Enfin, deux derniers points attirent l’attention : l’Art& essai ; la fréquentation en période estivale. Enété, le public jeune représente plus d’une entréesur deux (50,9% à l’époque de l’étude), soit 21%d’entrées en plus que le restant de l’année. Danscette augmentation interviennent en majorité lesadolescents de 15 à 19 ans, suivis des 11-14 ans.Chez les jeunes de 20 à 24 ans, en revanche, lafréquentation demeure au même niveau que lereste l’année ; elle décroît chez les enfants de 6 à10 ans. Les adolescents sont nettement moinsprésents dans le domaine de l’Art & essai. Si le“public cinéma” en général se constitue à 25,6%de spectateurs de moins de 25 ans, ceux-ci ne représententque 21% de l’audience Art & essai - soit latranche la plus faible. Il connaissent la programmationde ces salles “en passant devant”, par lebouche à oreille, la presse, mais avant tout en lisantle programme édité par le cinéma. Et bien qu’ilsse disent moins satisfaits que l’ensemble du publicsur les différents services proposés (la qualité del’accueil, du son, la taille de l’écran), ils apprécienttout autant de voir les films en VO sous-titrée.DMLes pratiques cinématographiques des jeunes, sous ladirection de Jean-Pierre Hoss. Disponible auprès du CNC.actions cinéma / audiovisuel projections / 35