LES PUBLICS__EXPÉRIENCELE JUSTE ÉQUILIBRELes séances “Ciné-ma différence” sont des séances commerciales àtarif réduit et unique. Il arrive que des personnes “valides” viennentsimplement voir un film sans être au courant du contexte danslequel s’inscrit la séance. L’une des fonctions des bénévoles présentsà l’entrée est de les informer, entre autres pour éviter d’éventuellesremarques désobligeantes vis-à-vis de ceux qui ne se comporteraientpas en spectateurs “normaux”. Cependant, “les personnesvalides sortent en général assez contentes” observe CatherineMorhange, “elles prennent conscience de la vie quotidienne d’unepersonne handicapée, même pour quelque chose d’aussi banalqu’une sortie au cinéma”.La mixité du public varie selon les salles. Les organisateurs préfèrentqu’il y ait un équilibre entre personnes handicapées et valides,avec, si possible, un léger avantage numéraire pour les premiers“afin de ne pas se retrouver à nouveau en situation de minorité”.La programmation est annoncée par mail et circule à travers leréseau des associations. Preuve que ces séances répondent à un réelbesoin, certaines personnes n’hésitent pas à venir de banlieue dansle centre de Paris pour y assister. Pourtant, tous n’osent pas. Si lesjeunes (enfants ou adolescents) sont très présents, “les adultes handicapéssont difficiles à toucher” reconnaît Catherine Morhange.“Ils vivent dans des foyers dont il n’est pas toujours facile de sortirou bien dans leurs familles, lesquelles ont déjà vécu de nombreuxrejets”. Pour tenter de les sortir de leur repli, un long travail d’explicationet de mise en confiance est nécessaire.Proposés uniquement en VF, les films sont tous publics. Filmsd’animation (Ocelot, Miyazaki, Tezuka), classiques français ouétrangers (Les Vacances de Monsieur Hulot, Le Corsaire rouge), fictionsou documentaires animaliers, petits budgets ou grosses productions…“On panache”, sans s’interdire “de passer les films donttout le monde parle à l’école”, mais en conservant une programmationde “qualité”. Les films qui plaisent le plus, constate CatherineMorhange, sont finalement ceux qui possèdent un intérêt formel,un regard de cinéaste. Qu’il s’agisse de Jacques Demy ou de TimBurton dont l’imagerie parfois inquiétante (Les Noces funèbres) nepose pas problème.À des films d’animation hollywoodiens type Happy Feet, “appréciéspour leur aspect visuel, mais qui multiplient des références quenotre public ne comprend pas”, on préfère des films plus contemplatifs,qui permettent de “se poser physiquement”. Les films quiaccordent une grande place à la musique sont appréciés. Les émotionsfortes, la violence ? “On ne fait pas l’impasse dessus, mais celane doit pas être gratuit. Il ne faut pas s’autocensurer, nous devonsconvaincre les parents que l’on peut montrer à un enfant très handicapéautre chose que des niaiseries”. La Planète sauvage est unfilm que Catherine Morhange pensait trop “difficile et cérébral”.Quand il a été projeté, les parents étaient partagés, ainsi que les “frèreset sœurs” ; les personnes handicapées, elles, l’ont beaucoupaimé”. “Elles ont été sevrées de cinéma. Elles n’ont pas été formatées,collées à la télévision à partir de deux ans. Elles sont ouverteset en plus, elles n’ont pas le même rapport au monde que nous”.L’Histoire du chameau qui pleureÉMERGENCE D’UN RÉSEAU“Ciné-ma différence” reçoit aujourd’hui un nombre croissant dedemandes de la part de salles qui souhaitent organiser des projections.Mais pour l’association, il ne faut rien précipiter. Outre le faitqu’une salle, pour ces séances, doit apprendre à respecter certainescontraintes (réglage du son à un niveau raisonnable, extinction progressivede la lumière…), “la bonne volonté d’un exploitant ne suffitpas pour accueillir ce type de public” rappelle Catherine Morhange. “Ilfaut travailler en partenariat avec des gens qui le connaissent et quisont capables de réagir à des situations particulières, de violence ou degrande détresse”.Certains des bénévoles sont en contact, professionnellement ou familialement,avec des personnes handicapées. D’autres viennent duthéâtre ou du cinéma. “Il est important de recruter des gens venant dela culture pour qu’il y ait aussi de la mixité dans nos équipes”.Si les séances de “Ciné-ma différence” se multiplient dans différentesrégions, ce sera aux relais locaux (associations d’aide aux personneshandicapées, Missions Handicap) de recruter et de former euxmêmesles bénévoles. “Ciné-ma différence”, de son côté, devra être enmesure de transmettre son expérience aux relais. L’heure est doncvenue de formaliser le savoir accumulé au fil des projections, d’organiserun réseau, de se doter d’outils.L’un d’eux est une charte, en préparation, où figureront tous lesaspects “pratiques et éthiques” auxquels les partenaires devront adhérer.Une étape à franchir pour que le cinéma devienne un peu plus le“loisir accessible à tous” qu’il prétend être.DAVID MATARASSO46 / projections actions cinéma / audiovisuel
LES PUBLICS__ENQUÊTECHAQUE QUARTIER POSSÈDE SONHISTOIRE. CELLE DES BANLIEUESATTIRE EN GÉNÉRAL L’ATTENTION AUMOMENT D’UNE TRANSFORMATION,D’UN BOULEVERSEMENT OU D’UNFAIT DIVERS.COMMENT RECONSTITUER CETTE (OUCES) HISTOIRE(S) ? EN FAISANT APPELAUX IMAGES QUE LES HABITANTS ONTPU FILMER AU FIL DES ANS, À CELLESDONT ILS SE SOUVIENNENT. C’EST LETRAVAIL QU’ENTREPRENNENT DESCINÉASTES, DES CHERCHEURS ETSURTOUT LES HABITANTS EUX-MÊMES,EN QUÊTE DE LEUR PROPRE PASSÉ.PARCOURS À TRAVERS LA MÉMOIREDES QUARTIERS, À TRAVERS LESIMAGES, LES TRACES.Chronique d’une banlieu ordinaire de Dominique Cabrera © ISKRAParoles d’habitantsDémolitions, réhabilitations, reconstructions… Les grands ensembles occupent une place à part dans le paysage français,y compris dans le paysage cinématographique. Ils ont été filmés dans La Haine, Raï ou Ma 6-T va crack-er, que lacritique a vite rassemblés sous le label un peu méprisant de “banlieue-films”. Ils ont aussi fait l’objet d’approchesdocumentaires, fondées sur un même principe de départ : questionner ceux qui y vivent, mettre en scène l’évocationde leur vie présente, passée, à venir…article paru dans <strong>Projections</strong> n°11_mémoire des quartiers_mai 2004Dans son documentaire Printemps à laSource (2001), c’est le quotidien d’unepetite épicerie du quartier de la Source, àEpinay-sur-Seine que Chantal Briet a choiside filmer. Le dernier commerce du quartier,tenu par un homme, Ali. La documentaristeavait d’abord pensé à suivre les habitantschez eux, avant de décider de seconcentrer sur ce lieu de passage, de rendez-vousinformels.“La majorité du film a été tournée le matin,lorsque les gens venaient prendre le petitdéjeunerchez Ali. C’était un moment oùl’on ressentait une communauté, où lesgens se parlaient. Ali est quelqu’un de trèsouvert. Il faisait le lien entre les habitants etnotre équipe très réduite : l’ingénieur duson, le chef-opérateur et moi”.Une communauté dans laquelle elle s’estintégrée progressivement. “J’ai attendu unan avant de filmer. Durant cette période, jeme suis rendue là-bas très souvent, pourboire le café avec les clients. J’étais presquedevenue une habituée. Les gens ont comprisque je ne recherchais pas le sensationnel.Finalement, ce sont eux qui m’ontdemandé quand j’allais prendre macaméra”.Le film fait alterner conversations banaleset récits personnels. Une vieille dame expliquecomment elle doit remonter 8 étages àpied, seule avec son sac de commissions.Un homme relate l’agression dont il a étévictime. Ali critique la mauvaise volonté desélus, qui font la sourde oreille lorsqu’il leurdemande de rénover son local, devenu tropvétuste.“Je voulais dépasser les discours convenus,ceux qui évoquaient la banlieue à travers lesclichés habituels, la délinquance, la drogue.Il n’était pas utile de parler de la banlieuefrontalement. Les scènes de vie devaient enparler d’elles-mêmes”.Dominique Cabrera, elle aussi, a passébeaucoup de temps avec les habitants duVal Fourré à Mantes-la-Jolie : “deux ans etdemi, presque chaque semaine”. Elle les afilmé dans Chronique d’une banlieue ordinaireen train de visiter leurs anciens appartementsdéserts, en attente d’une futuredémolition.“Le point de départ fut la pièce de théâtre deAhmed Madani, intitulée La tour” raconteDominique Cabrera. “Elle mettait en scènela vie imaginée des habitants. J’ai filmé cespectacle et je me suis promenée dans l’immeuble,en regardant les papiers peints eten essayant d’imaginer moi aussi les viesqui s’étaient déroulées ici. La superpositiondes appartements m’a donné l’idée d’unfilm dans lequel les vies se répondraient enécho”.Arpentant des couloirs vides, les résidentsdes tours racontent leur passé : leur arrivéedans ces appartements vastes, les premierstravaux, la découverte d’une vie collectivequi a parfois modifié leur vision du mondeet de la société.Derrière la spontanéité des témoignages, seactions cinéma / audiovisuel projections / 47