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J’avais appris son ascendance alors que, à la fin d’un aprèsmidi<br />
dense en remue-ménage où je l’avais vu fort occupé et<br />
comme il avait sonné à ma loge pour me prévenir de l’arrivée tôt<br />
le lendemain d’une nouvelle fournée de livreurs, je lui avais<br />
proposé une tasse de thé qu’il avait acceptée avec simplicité.<br />
Nous conversâmes dans une exquise nonchalance. Qui eût pu<br />
croire qu’un homme jeune, beau et compétent – car, par tous les<br />
dieux, il l’était, comme nous avions pu en juger en le voyant<br />
organiser les travaux et, sans jamais sembler débordé ou<br />
fatigué, les mener à leur terme dans le calme – serait également<br />
si dénué de snobisme ? Lorsqu’il partit, en me remerciant avec<br />
chaleur, je réalisai que j’avais oublié avec lui jusqu’à l’idée de<br />
dissimuler qui j’étais. Mais je reviens à la nouvelle <strong>du</strong> jour.<br />
— Il a congédié la baronne, et le reste avec. Manuela ne<br />
cache pas son ravissement. Anna Arthens, quittant Paris, avait<br />
fait serment à Violette Grelier de la recommander auprès <strong>du</strong><br />
nouveau propriétaire. M. Ozu, respectueux des désirs de la<br />
veuve à laquelle il achetait un bien et arrachait le cœur, avait<br />
accepté de recevoir ses gens et de s’entretenir avec eux. Les<br />
Grelier, patronnés par Anna Arthens, auraient pu trouver une<br />
place de choix dans une bonne maison, mais Violette caressait le<br />
fol espoir de demeurer là où, selon ses propres mots, elle avait<br />
passé ses plus belles années.<br />
— Partir, ce serait comme mourir, avait-elle confié à<br />
Manuela. Enfin, je ne parle pas pour vous, ma fille. Il faudra<br />
bien vous y résoudre.<br />
— M’y résoudre, taratata, dit Manuela qui, depuis que, sur<br />
mes conseils, elle a vu Autant en emporte le vent, se prend pour<br />
la Scarlett d’Argenteuil. Elle part et moi je reste !<br />
— M. Ozu vous embauche ? je demande.<br />
— Vous ne devinerez jamais, me dit-elle. Il m’embauche pour<br />
douze heures, payée comme princesse !<br />
— Douze heures ! dis-je. Comment allez-vous faire ?<br />
— Je vais laisser tomber Mme Pallières, répond-elle au bord<br />
de l’extase, je vais laisser tomber Mme Pallières.<br />
Et, parce qu’il faut abuser des choses vraiment bonnes :<br />
— Oui, répète-t-elle, je vais laisser tomber Mme Pallières.<br />
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