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ourdons. Le premier à l’atteindre copule avec elle puis meurt<br />
parce que, après l’acte, son organe génital reste coincé dans<br />
l’abeille. Il en est donc amputé et ça le tue. Le second faux<br />
bourdon à atteindre la reine doit, pour copuler avec elle, retirer<br />
avec ses pattes l’organe génital <strong>du</strong> précédent et, bien sûr, il lui<br />
arrive ensuite la même chose, et ainsi de suite jusqu’à dix ou<br />
quinze faux bourdons, qui remplissent la poche spermatique de<br />
la reine et vont lui permettre, pendant quatre ou cinq ans, de<br />
pro<strong>du</strong>ire deux cent mille œufs par an.<br />
Voilà ce que me raconte Colombe en me regardant de son air<br />
fielleux et en émaillant le récit de grivoiseries <strong>du</strong> genre : « Elle<br />
n’y a droit qu’une fois, hein, alors elle en use quinze ! » Si j’étais<br />
Tibère, je n’aimerais pas trop que ma copine raconte cette<br />
histoire à tout le monde. Parce que bon, hein, on ne peut pas<br />
s’empêcher de faire un peu de psychologie à quatre sous : quand<br />
une fille excitée raconte qu’il faut quinze mâles à une femelle<br />
pour qu’elle soit contentée et que, pour les remercier, elle les<br />
castre et les tue, forcément, ça pose des questions. Colombe est<br />
persuadée que ça la bombarde en fille-libérée-pas-coincée-quiaborde-le-sexe-avec-naturel.<br />
Colombe oublie juste qu’elle ne me<br />
raconte cette histoire à moi que dans le but de me choquer et<br />
qu’en plus l’histoire a un contenu qui n’est pas anodin. Et d’une,<br />
pour quelqu’un comme moi qui pense que l’homme est un<br />
animal, la sexualité n’est pas un sujet scabreux mais une affaire<br />
scientifique. Je trouve ça passionnant. Et de deux, je rappelle à<br />
tout le monde que Colombe se lave les mains trois fois par jour<br />
et hurle à la moindre suspicion de poil invisible dans la douche<br />
(les poils visibles étant plus improbables). Je ne sais pas<br />
pourquoi, mais je trouve que ça va très bien avec la sexualité des<br />
reines.<br />
Mais surtout, c’est fou comme les hommes interprètent la<br />
nature et croient pouvoir y échapper. Si Colombe raconte cette<br />
histoire-là de cette façon-là, c’est parce qu’elle pense que cela ne<br />
la concerne pas. Si elle se gausse des pathétiques ébats <strong>du</strong> faux<br />
bourdon, c’est parce qu’elle est convaincue de ne pas partager<br />
son sort. Mais moi, je ne vois rien de choquant ou de grivois<br />
dans l’envol nuptial des reines et dans le sort des faux bourdons<br />
parce que je me sens profondément semblable à toutes ces<br />
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