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L'Elegance du herisson

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— Allons-y ! dit Kakuro qui a disposé tasses, théière, sucre et<br />

petites serviettes en papier sur un grand plateau noir.<br />

Je le précède dans le couloir et, sur ses indications, ouvre la<br />

troisième porte sur la gauche.<br />

— Vous avez un magnétoscope ? avais-je demandé à Kakuro<br />

Ozu.<br />

— Oui, avait-il répon<strong>du</strong> avec un sourire sibyllin.<br />

La troisième porte sur la gauche ouvre sur une salle de<br />

cinéma miniature. Il y a un grand écran blanc, un tas d’appareils<br />

brillants et énigmatiques, trois rangées de cinq vrais fauteuils de<br />

cinéma recouverts de velours bleu nuit, une longue table basse<br />

devant la première et des murs et un plafond ten<strong>du</strong>s de soie<br />

sombre.<br />

— En fait, c’était mon métier, dit Kakuro.<br />

— Votre métier ?<br />

— Pendant plus de trente ans, j’ai importé en Europe de la<br />

hi-fi de pointe, pour des grandes enseignes de luxe. C’est un<br />

commerce très lucratif – mais surtout merveilleusement ludique<br />

pour moi que tout gadget électronique passionne.<br />

Je prends place sur un siège délicieusement rembourré et la<br />

séance commence.<br />

Comment décrire ce moment de grande joie ? Nous<br />

regardons Les Sœurs Munakata sur un écran géant, dans une<br />

douce pénombre, le dos calé contre un dossier bien mou, en<br />

grignotant <strong>du</strong> gloutof et en buvant <strong>du</strong> thé brûlant à petites<br />

gorgées heureuses. De temps à autre, Kakuro arrête le film et<br />

nous commentons ensemble, à bâtons rompus, les camélias sur<br />

la mousse <strong>du</strong> temple et le destin des hommes quand la vie est<br />

trop <strong>du</strong>re. À deux reprises, je m’en vais saluer mon ami le<br />

Confutatis et je reviens dans la salle comme dans un lit chaud et<br />

douillet.<br />

C’est un hors-temps dans le temps… Quand ai-je pour la<br />

première fois ressenti cet abandon exquis qui n’est possible qu’à<br />

deux ? La quiétude que nous éprouvons lorsque nous sommes<br />

seuls, cette certitude de nous-mêmes dans la sérénité de la<br />

solitude ne sont rien en comparaison <strong>du</strong> laisser-aller, laisservenir<br />

et laisser-parler qui se vit avec l’autre, en compagnie<br />

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