26.06.2013 Views

L'Elegance du herisson

L'Elegance du herisson

L'Elegance du herisson

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

pourtant, tu souris, tu sifflotes et soudain, moi aussi je souris.<br />

Lucien… Je t’ai bien aimé, va, et pour cela, peut-être, je mérite<br />

le repos. Nous dormirons en paix dans le petit cimetière de<br />

notre pays. Au loin, on entend la rivière. On y pêche l’alose et<br />

aussi le goujon. Des enfants viennent jouer là, en criant à tuetête.<br />

Le soir, au soleil couchant, on entend l’angélus.<br />

Et vous, Kakuro, cher Kakuro, qui m’avez fait croire à la<br />

possibilité d’un camélia… Ce n’est que fugitivement que je pense<br />

à vous aujourd’hui ; quelques semaines ne donnent pas la clef ;<br />

je ne vous connais guère au-delà de ce que vous fûtes pour moi :<br />

un bienfaiteur céleste, un baume miraculeux contre les<br />

certitudes <strong>du</strong> destin. Pouvait-il en être autrement ? Qui sait… Je<br />

ne peux m’empêcher d’avoir le cœur serré de cette incertitude.<br />

Et si ? Et si vous m’aviez encore fait rire et parler et pleurer, en<br />

lavant toutes ces années de la souillure de la faute et en rendant<br />

à Lisette, dans la complicité d’un improbable amour, son<br />

honneur per<strong>du</strong> ? Quelle pitié… Vous vous perdez à présent dans<br />

la nuit et, à l’heure de ne plus jamais vous revoir, il me faut<br />

renoncer à connaître jamais la réponse <strong>du</strong> sort…<br />

Est-ce cela, mourir ? Est-ce si misérable ? Et combien de<br />

temps encore ?<br />

Une éternité, si je ne sais toujours pas.<br />

Paloma, ma fille.<br />

C’est vers toi que je me tourne. Toi, la dernière.<br />

Paloma, ma fille.<br />

Je n’ai pas eu d’enfants, parce que cela ne s’est pas fait. En<br />

ai-je souffert ? Non. Mais si j’avais eu une fille, ç’aurait été toi.<br />

Et, de toutes mes forces, je lance une supplique pour que ta vie<br />

soit à la hauteur de ce que tu promets. Et puis c’est<br />

l’illumination.<br />

Une vraie illumination : je vois ton beau visage grave et pur,<br />

tes lunettes à montures roses et cette manière que tu as de<br />

triturer le bas de ton gilet, de regarder droit dans les yeux et de<br />

caresser le chat comme s’il pouvait parler. Et je me mets à<br />

pleurer. À pleurer de joie à l’intérieur de moi. Que voient les<br />

badauds penchés sur mon corps brisé ? Je ne sais pas.<br />

284

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!