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L'Elegance du herisson

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C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui se soucie<br />

de moi quand il me parle : il ne guette pas l’approbation ou le<br />

désaccord, il me regarde avec l’air de dire : « Qui es-tu ? Veux-tu<br />

parler avec moi ? Comme j’ai plaisir à être avec toi ! » C’est ça<br />

que je voulais dire en parlant de politesse, cette attitude de l’un<br />

qui donne à l’autre l’impression d’être là. Bon, sur le fond, la<br />

Russie des grands Russes, je m’en fiche pas mal. Ils parlaient le<br />

français ? À la bonne heure ! Moi aussi et je n’exploite pas le<br />

moujik. Mais en revanche, je n’ai d’abord pas bien compris<br />

pourquoi, j’ai été sensible aux bouleaux. Kakuro parlait de la<br />

campagne russe avec tous ces bouleaux flexibles et bruissants et<br />

je me suis sentie légère, légère…<br />

Après, en réfléchissant un peu, j’ai partiellement compris<br />

cette joie soudaine quand Kakuro parlait des bouleaux russes.<br />

Ça me fait le même effet quand on parle des arbres, de<br />

n’importe quel arbre : le tilleul dans la cour de la ferme, le chêne<br />

derrière la vieille grange, les grands ormes maintenant disparus,<br />

les pins courbés par le vent le long des côtes venteuses, etc. Il y a<br />

tant d’humanité dans cette capacité à aimer les arbres, tant de<br />

nostalgie de nos premiers émerveillements, tant de force à se<br />

sentir si insignifiant au sein de la nature… oui, c’est ça :<br />

l’évocation des arbres, de leur majesté indifférente et de l’amour<br />

que nous leur portons nous apprend à la fois combien nous<br />

sommes dérisoires, vilains parasites grouillant à la surface de la<br />

terre, et nous rend en même temps dignes de vivre, parce que<br />

nous sommes capables de reconnaître une beauté qui ne nous<br />

doit rien.<br />

Kakuro parlait des bouleaux et, en oubliant les<br />

psychanalystes et tous ces gens intelligents qui ne savent que<br />

faire de leur intelligence, je me sentais soudain plus grande<br />

d’être capable d’en saisir la très grande beauté.<br />

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