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L'Elegance du herisson

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les masques tombent, parce qu’une crise survient – et elle<br />

survient toujours chez les mortels – la vérité est terrible !<br />

Regardez M. Arthens, le critique gastronomique <strong>du</strong> sixième, qui<br />

est en train de mourir. Ce midi, maman est rentrée des courses<br />

comme une tornade et, sitôt dans l’entrée, elle a lancé à la<br />

cantonade : « Pierre Arthens est mourant ! » La cantonade,<br />

c’était Constitution et moi. Autant vous dire que ça a fait un<br />

flop. Maman, qui était un peu décoiffée, a eu l’air déçu. Quand<br />

papa est rentré, ce soir, elle lui a sauté dessus pour lui<br />

apprendre la nouvelle. Papa a semblé surpris : « Le cœur ?<br />

Comme ça, si vite ? » a-t-il demandé.<br />

Je dois dire que M. Arthens, c’est un vrai méchant. Papa, lui,<br />

c’est juste un gamin qui joue à la grande personne pas marrante.<br />

Mais M. Arthens… un méchant premier choix. Quand je dis<br />

méchant, je ne veux pas dire malveillant, cruel ou despotique,<br />

quoique ce soit un peu ça aussi. Non, quand je dis « c’est un vrai<br />

méchant », je veux dire que c’est un homme qui a tellement<br />

renié tout ce qu’il peut y avoir de bon en lui qu’on dirait un<br />

cadavre alors qu’il est encore vivant. Parce que les vrais<br />

méchants, ils détestent tout le monde, c’est sûr, mais surtout<br />

eux-mêmes. Vous ne le sentez pas, vous, quand quelqu’un a la<br />

haine de soi ? Ça le con<strong>du</strong>it à devenir mort tout en étant vivant,<br />

à anesthésier les mauvais sentiments mais aussi les bons pour<br />

ne pas ressentir la nausée d’être soi.<br />

Pierre Arthens, c’est sûr, c’était un vrai méchant. On dit que<br />

c’était le pape de la critique gastronomique et le champion dans<br />

le monde de la cuisine française. Alors ça, ça ne m’étonne pas. Si<br />

vous voulez mon avis, la cuisine française, c’est une pitié. Autant<br />

de génie, de moyens, de ressources pour un résultat aussi<br />

lourd… Et des sauces et des farces et des pâtisseries à s’en faire<br />

péter la panse ! C’est d’un mauvais goût… Et quand ce n’est pas<br />

lourd, c’est chichiteux au possible : on meurt de faim avec trois<br />

radis stylisés et deux coquilles Saint-Jacques en gelée d’algues,<br />

dans des assiettes faussement zen avec des serveurs qui ont l’air<br />

aussi joyeux que des croque-morts. Samedi, on est allés dans un<br />

restaurant très chic comme ça, le Napoléon’s Bar. C’était une<br />

sortie en famille, pour fêter l’anniversaire de Colombe. Qui a<br />

choisi les plats avec la même grâce que d’habitude : des trucs<br />

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