Lire le livre - Ibiblio
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que du Salon de 1857 ». À l’instar de certains de ses confrères, Verne aurait pu choisir<br />
un regroupement d’artistes selon un sty<strong>le</strong> ou un genre donné. Mais il choisit plutôt une<br />
voie consciencieuse et méthodique, et c’est d’une manière éminemment pragmatique<br />
qu’il se promène à travers <strong>le</strong>s neuf sal<strong>le</strong>s dont l’ordre lui inspire la présentation des<br />
œuvres :<br />
Dans ce Salon, si l’on ne veut par<strong>le</strong>r que des œuvres remarquab<strong>le</strong>s, il faut marcher<br />
au hasard et sans <strong>livre</strong>t : si l’on doit par<strong>le</strong>r de tout à peu près, il me paraît convenab<strong>le</strong> de<br />
tout voir, et conséquemment de procéder avec méthode ; commençons donc par la première<br />
sal<strong>le</strong>, finissons par la dernière, et que <strong>le</strong> public excuse <strong>le</strong>s fautes de l’auteur (1 er<br />
art.).<br />
Cette modestie est à son honneur et renforcerait notre foi dans son jugement artistique.<br />
La théorie sans assise solide dans la pratique s’apparente souvent à bâtir sur <strong>le</strong><br />
sab<strong>le</strong>. À force de lire Castagnary avec nos yeux modernes, nous pourrions préférer à<br />
sa rhétorique verbeuse <strong>le</strong> mordant d’un Baudelaire, l’exotisme nostalgique d’un Du<br />
Camp ou même la vision scrupu<strong>le</strong>use de Verne, sans parti pris, sans agenda caché,<br />
sans obligation mondaine. L’écrivain sait bien qu’il n’est d’aucune éco<strong>le</strong> : la grandeur<br />
et la tragédie de sa carrière entière sera de transcender <strong>le</strong>s coteries et <strong>le</strong>s genres, d’être<br />
successivement parisien provincial et provincial parisianisé, mais toujours peu estimé<br />
en son propre pays.<br />
Les tab<strong>le</strong>aux que Verne choisit sont souvent <strong>le</strong>s mêmes que ceux sé<strong>le</strong>ctionnés par<br />
Gautier, Nadar, Du Camp et Auvray – ce qui permet de confronter <strong>le</strong>s jugements de<br />
ceux-ci, que j’ai insérés en notes. Parmi <strong>le</strong>s 300 œuvres, plus d’une centaine sont disponib<strong>le</strong>s<br />
aujourd’hui sur la Toi<strong>le</strong>, ce qui indique une certaine notoriété, et donc étaye<br />
la justesse de son choix. Pour illustrer <strong>le</strong>s propos de Verne et mettre en contexte <strong>le</strong>s<br />
appréciations émises par ses pairs, je joins ces tab<strong>le</strong>aux au texte ; vu <strong>le</strong>ur source, certains<br />
sont de qualité technique modeste.<br />
Tous <strong>le</strong>s critiques du Salon, face au nombre impressionnant de tab<strong>le</strong>aux, ont du<br />
mal à présenter <strong>le</strong>s commentaires variés ; Du Camp, et surtout Auvray, ne sont pas libres<br />
de prolixité et de louanges trop généraux. Ce manque à dire est visib<strong>le</strong>, par exemp<strong>le</strong>,<br />
dans toutes <strong>le</strong>s remarques de celui-ci sur <strong>le</strong> « coloris » des tab<strong>le</strong>aux. Nadar, en<br />
contraste, à la fois dans ses commentaires et dans ces pastiches, est percutant. C’est en<br />
effet un plaisir de juxtaposer, pour la toute première fois, quelques tab<strong>le</strong>aux avec <strong>le</strong>urs<br />
caricatures correspondantes, où Nadar reste proche de la <strong>le</strong>ttre, mais ironique quant à<br />
l’esprit. En comparaison avec ses pairs, ici encore Verne s’en tire relativement bien,<br />
car, pour <strong>le</strong> juger selon des critères de concision et de pertinence, ses commentaires,<br />
qui sont souvent en fait des descriptions passées par son imagination, lassent rarement.<br />
Plusieurs critiques littéraires, surtout <strong>le</strong> regretté François Raymond, ont soutenu<br />
que Verne est <strong>le</strong> romancier antimétaphysique et anti-idéologique par excel<strong>le</strong>nce. Son<br />
œuvre, à vrai dire, a confondu plusieurs générations de critiques : ceux, outre-<br />
Atlantique, qui l’imaginent être auteur de science fiction ; ceux, outre-Himalaya, qui<br />
censurent ses romans pour essayer de maintenir, coûte que coûte, un empire unifié ;<br />
ceux, un peu partout, qui <strong>le</strong> classent comme écrivain didactique. La bibliothèque de<br />
Nemo mélange allègrement langues, éco<strong>le</strong>s, genres et civilisations. Verne est simp<strong>le</strong>ment<br />
« artiste » – comme il <strong>le</strong> proclamera fièrement lui-même en 1893 18 : praticien<br />
avant tout, réfractaire à la catégorisation, trop conscient des pièges pour se laisser en-<br />
18 SHERARD, p. 30.<br />
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