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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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illants. On s'y serait cru. Après Berlin, il avait suivi Marlène à Hollywood et travaillé comme scénariste à la<br />

Metro Goldwin Mayer. Enfin, de retour en France, il avait épousé à Narbonne la mère de Charles Trenet, dont<br />

il laissait entendre qu'il avait corrigé les premières chansons. Sans un sou en poche, il avait échoué à Marseille<br />

où René Jeanne, qui le connaissait depuis longtemps pour l'avoir rencontré dans le milieu du cinéma, l'avait<br />

introduit chez Laffont. Celui−ci avait été séduit par ce personnage flamboyant, aux talents d'ailleurs réels et<br />

multiples. Il avait fait ses preuves comme écrivain en Allemagne, où un de ses romans avait eu un gros tirage,<br />

et c'était, en outre, un excellent dessinateur. Laffont s'était laissé convaincre de lui avancer un acompte sur un<br />

roman et des illustrations de livre. De ces mirifiques projets, il ne sortit guère que quelques belles<br />

lithographies pour un ouvrage de Saint−Exupéry. Quant au roman, il ne vit jamais le jour. Il n'était pas le seul<br />

auteur à vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, ni Bobet Laffont le seul éditeur à l'acheter. J'eus la<br />

faiblesse d'introduire Beno dans ma famille. Ma mère et sa soeur, tante Zette, s'en entichèrent aussitôt et, elles<br />

aussi, elles y laissèrent des plumes.<br />

Quelques mois plus tard, Beno s'était installé dans ma famille, couchait avec tante Zette et faisait le<br />

pique−assiette chez maman qui, malgré mes mises en garde, lui avait prêté quelque argent. Aussi ingénieux<br />

qu'Ulysse, il avait manigancé de marier ma soeur Monique à un jeune aristocrate, Willy de Spens, qui avait<br />

des ambitions littéraires et qu'il avait fait venir pour le présenter à Robert Laffont. Willy était baron. C'était un<br />

gentilhomme campagnard, maigre et sec, avec une petite tête osseuse d'oiseau déplumé, des yeux enfoncés<br />

dans les orbites et l'allure qu'on prête aux officiers de cavalerie. Il descendait d'une vieille famille écossaise<br />

dont un ancêtre, venu chercher fortune en France comme mercenaire, avait, dans un tournoi fameux, éborgné<br />

d'un coup de lance mortel le roi Henri II. Les Spens habitaient le château d'Estignols dans les Landes, près de<br />

Mont−de−Marsan. Ces nobles origines plaisaient à ma mère. Quant à ma soeur, qui avait dix−huit ans à peine,<br />

c'était pour elle une occasion inespérée d'échapper à une tyrannie maternelle qui lui pesait. Le mariage se fit<br />

bientôt, mais ne fut pas heureux et ne dura pas longtemps. La vie à Estignols était plus austère encore que<br />

celle que Monique avait fuie. Son sombre beau−père lui fit durement sentir qu'il désapprouvait la mésalliance<br />

de son fils et celui−ci la déçut vite. Son roman, Mademoiselle de Sérifontaine, parut chez Laffont, mais n'eut<br />

aucun succès. De plus, il s'avéra aussi décevant au lit qu'en littérature. Il avait, comme on le dit dans les livres<br />

polissons du XVIIIe siècle, les aiguillettes nouées, ce que le tempérament ardent de ma soeur ne lui pardonna<br />

pas. Elle ne lui pardonna pas, non plus, les quelques mois de prison qu'il fit à la Libération pour avoir, avant<br />

son mariage et sans qu'elle l'ait su, fait partie à Bordeaux du commissariat aux Affaires juives. Elle divorça et<br />

eut plus tard bien d'autres aventures.<br />

Les dimanches, nous allions par le tramway à la Pomme, dans la vallée de l'Huveaune, où les beaux−parents<br />

de Bobet Laffont avaient une belle campagne. Sous les ombrages, nous y retrouvions les habitués de la rue<br />

Venture. Il y avait l'inévitable Beno Vigny, le gentil Pierre Berger, directeur technique des éditions, et de<br />

nombreux visiteurs. Parmi eux, un peintre, Thouvenet, qui faisait d'élégantes aquarelles rehaussées à l'encre<br />

de Chine, dans le goût de Dunoyer de Segonzac. Il y avait aussi Roger Allard, dont on disait qu'il était depuis<br />

longtemps l'amant de Mme Thouvenet, et René Jeanne, qui venait d'achever avec Charles Ford une<br />

monumentale histoire du cinéma. C'est à la Pomme que je fis la connaissance du charmant poète Axel<br />

Toursky. Né à Nice, il était, comme Guillaume Apollinaire, le fils d'une mère russe et galante et d'un père<br />

incertain. Son charme slave, son nez aux narines creuses comme celles des joueurs de poker et ses yeux d'un<br />

bleu aussi pâle que celui de l'aigue−marine exerçaient sur toutes les femmes une séduction à laquelle Netty, la<br />

jolie soeur de Bobet, avait succombé. Un autre personnage mémorable était Pierre Guillain de Bénouville. Il<br />

racontait à qui voulait l'entendre ses hauts faits dans la Résistance, ses voyages clandestins en Suisse et les<br />

entretiens secrets qu'il avait eus à Vichy, avec des ministres qui commençaient à s'inquiéter pour leur avenir. Il<br />

venait d'échapper au traquenard de Caluire. Après la Libération, à laquelle il ne participa pas, parce que, au<br />

bon moment, un accident de voiture l'avait cloué à l'hôpital, il réapparut comme général à deux étoiles, le<br />

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