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il est d'autres chemins pour communiquer : l'amitié, cette langue si difficile à traduire, et grâce à laquelle vous<br />
apprenez sous un bombardement que la mort est devenue impossible ou indifférente, parce qu'il y a sur votre<br />
gauche un être auprès de qui vous acquérez le pouvoir de changer d'émotion ; la fraternité virile, une sorte de<br />
grande amitié rudimentaire, aussi totale, aussi fertile ; l'électricité certaine des grandes salles fraternelles, des<br />
meetings et des concerts, des grands événements contemplés ou partagés, des champs de bataille −− où si<br />
chacun ne communique pas tout entier, chacun perçoit pourtant qu'il est uni à d'autres par une partie de soi qui<br />
demandait à vivre (14). »<br />
Mais ce qui éloigne Mounin de la « marxologie » c'est plus certainement encore le minimalisme qu'il adopte<br />
en matière de théorie : il se méfie des systèmes auxquels on cherche à faire dire ce pourquoi il n'était pas<br />
prévu qu'ils parlent. En témoignent les querelles qu'il mènera dans les années soixante contre les<br />
structuralismes d'emprunt : « sémiologie » de Barthes, « mythologiques » de Lévi−Strauss et « archéologie »<br />
de Foucault.<br />
« La poésie n'est pas auto−création de l'esprit. La poésie n'est pas production de représentations irréelles. La<br />
poésie n'est pas traduction implicite des aspirations vers le transcendant » ; voilà tout le matérialisme de<br />
Mounin et tout son rationalisme (15). « Sur une poésie philosophique » et « La poésie tout court », publiés au<br />
cours de l'année 1949, auront précisément pour ambition d'affirmer cette thèse et de répondre, au passage, aux<br />
attaques de Jean Paulhan et Maurice Fombeure contre la poésie engagée (16).<br />
Les poètes ont−il encore le droit de s'émouvoir des vicissitudes de l'histoire, des progrès de la connaissance<br />
et du devenir de l'homme ? Autrement dit, une poésie « philosophique » est−elle possible, qui ne serait pas<br />
une simple mise en vers de la philosophie, mais l'expression d'émotions « nées des rapports vrais qui<br />
s'établissent entre notre représentation de l'univers et notre sensibilité » ? Pour Georges Mounin, ces questions<br />
n'ont pas seulement lieu d'être débattues parce qu'elles se trouvent incidemment posées par la critique, mais<br />
parce qu'elles engagent, à leur corps défendant, les options esthétiques de la poésie contemporaine : tous<br />
voudraient penser dans un monde, dit−il, celui de la rationalité, et sentir dans un autre, celui de la subjectivité<br />
pure. Cette vieille opposition entre ce qui revient à la matière et ce qui ressort de l'esprit se trouve, en outre,<br />
renforcée par la spécialisation croissante des vocations littéraires : si le roman peut encore feindre de parler du<br />
monde, la poésie se voie, selon Mounin, promue à devenir « l'inexpugnable réduit de la métaphysique cerné<br />
de tous côtés par une meute toujours plus nombreuse de sciences toujours plus exactes ».<br />
Encore une fois, c'est dans l'oeuvre de René Char que Georges Mounin trouve de quoi nourrir sa ferveur<br />
pour une poésie qui, tout en poursuivant ses propres fins et sans renier ses moyens, nous ramènerait<br />
inlassablement au monde. « Comme tous les poètes, dit−il, Char a toujours couru le risque de généraliser ses<br />
propres émotions dans une philosophie. Mais le ressaisissement reste jusqu'ici son caractère essentiel. Il peut<br />
écrire, à deux pas de Camus, pathétiquement : "Nous sommes des malades sidéraux incurables auxquels la vie<br />
satanique donne l'illusion de bonne santé. Pourquoi ? Pour dépenser la vie et railler la santé ?" Mais il ajoute<br />
aussitôt, dans une parenthèse corrective, avec une lucidité dont aucun philosophe existentialiste professionnel<br />
n'a su faire preuve : "Je dois combattre mon penchant pour ce genre de pessimisme atonique, héritage<br />
intellectuel..." (17). » Plus encore que dans ses déclarations, c'est dans la pensée de René Char sur le langage,<br />
et dans son « art poétique », que Georges Mounin trouve la clé d'un engagement philosophique qui ne doit<br />
rien au discours enveloppant que tout artiste est capable de tenir sur son art. Pour René Char, l'usage poétique<br />
<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 7